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cette constitution si vantée, et dont avec l’effronterie de l’ignorance on n’a pas craint de présenter l’exemple à la France? Cette constitution fut un compromis ayant pour but de rapprocher et de grouper des hommes qui ne pouvaient avoir aucune répugnance à être unis par les mêmes liens politiques, puisqu’ils étaient unis déjà par les mêmes liens moraux. Dans un des discours qu’il prononça l’an dernier durant son voyage dans l’état de New-York, M. Daniel Webster disait admirablement : « Avant l’établissement de la constitution, il n’existait entre les diverses colonies aucun lien politique, mais la langue anglaise était leur langue commune, Shakspeare et Milton étaient leur propriété commune; la Bible et la religion du Christ étaient l’objet de leur commune adoration. Voilà les liens qui les unissaient. » Rapprochées par les croyances et par les souvenirs, atteintes dans les mêmes intérêts, il n’en coûta rien aux diverses colonies pour s’unir politiquement. La constitution ne leur demanda le sacrifice d’aucune de leurs habitudes, d’aucune de leurs coutumes; elle ne fut pas faite pour donner aux états des garanties les uns contre les autres. En s’unissant, les Américains ne se sont rien demandé et ne se sont rien sacrifié. Il en est des fondateurs de la république comme de la constitution; on ne cesse de se récrier sur leur douceur, leur tolérance, leur humanité, et, en vérité, comment auraient-ils pu avoir d’autres vertus que celles-là, eux qui n’avaient rien à demander à leur peuple, et à qui leur peuple ne demandait rien? Ils ont joué le seul rôle qu’il leur fût possible de jouer, celui de secrétaires de la pensée publique. La république n’est pas une conception qui leur fût personnelle, elle existait sous leurs yeux, non reconnue légalement encore; ils n’avaient rien à fonder, ils n’avaient qu’à proclamer l’évidence. Si, avec ce rôle modeste à remplir, Washington, Franklin et Adams eussent été des tyrans et des dictateurs, c’est qu’ils auraient eu de grandes dispositions naturelles à le devenir. Qu’on cesse donc de parler comme d’une œuvre de génie de la fondation de la république américaine, car jamais fait plus simple ne s’est accompli sous le soleil. D’un autre côté, nos absolutistes ne manqueront pas d’attribuer les fautes et les entreprises aventureuses ou injustes des Américains à cette même constitution, à cette même forme de gouvernement que nos républicains présentent comme la mère de tous leurs succès passés et de leur prospérité présente; mais les fautes des États-Unis ne prouveront pas plus contre la république que leur prospérité ne prouve en sa faveur. Il n’y a aucune conséquence politique à tirer de ces fautes et de ces succès : les uns et les autres doivent être rapportés au tempérament, aux vertus du sang, aux qualités de la race. Les États-Unis nous présentent tout simplement le spectacle d’une Angleterre populaire; ils nous montrent la race anglo-saxonne débarrassée des entraves traditionnelles, de tous les liens infiniment multipliés qui enchaînent l’homme dans les vieilles