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donc tout entier d’abord au malheur affreux qui l’accablait ; le jeune et frivole Romain, qui traitait dédaigneusement la vie et la mort, tomba comme atteint d’un coup subit sur la mousse de la forêt en poussant des gémissemens inarticulés et en versant un torrent de larmes.

Hilda, entraînée par sa vive tendresse, que fortifiait encore sa douleur, osa soulever de terre la tête du malheureux Lucius et la poser sur son épaule. Penchée sur lui, elle laissa passer ainsi les premières convulsions du désespoir ; puis, quand il put parler, quand il se mit à se reprocher tous ses torts envers son père, ses longs oublis, ses résistances fréquentes, des soins négligés, des paroles amères, et jusqu’au temps perdu par l’absence, elle s’efforça de le défendre contre lui-même et d’excuser des fautes qu’il s’exagérait dans l’emportement du repentir. Mêlant insensiblement quelques paroles de religion aux consolations qu’elle lui prodiguait, elle lui parla de ce qu’il pouvait faire pour réparer ce qu’il déplorait et pour retrouver ce qu’il avait perdu ; elle lui disait, inspirée par l’enthousiasme, par sa tendresse, et par le souvenir des discours de Maxime et de Priscilla : Oui, si tout finissait par la mort, il faudrait mourir avec ceux qu’on aime, il faudrait imiter les hommes de mon peuple, qui brûlent avec un guerrier vaillant tout ce qui l’a aimé et servi dans ce monde, car la pensée des maux qu’ont soufferts ceux qui ne sont plus, et surtout des torts qu’on a eus envers eux, serait une torture constante et une affliction irréparable ; mais s’ils vivent, — et comment, nous chrétiens, n’aurions-nous pas ce sentiment, qui est si puissant chez mes frères les Barbares au milieu des ténèbres de leur ignorance ? — s’ils vivent ceux que nous pleurons, oh ! alors nous pouvons nous prosterner devant eux et leur demander grâce, nous pouvons penser qu’ils nous entendent, qu’ils nous pardonnent, et ne pas mourir de douleur. Ton père, Lucius, a besoin lui-même de miséricorde ; mais il est dans le sein de la miséricorde infinie, comme disait Priscilla de ceux qui mouraient dans l’erreur ; maintenant, sans doute, il voit la lumière à laquelle il fermait les yeux ; il te voit aussi, il voit tes larmes, ton repentir. Ah ! Lucius, ne la sens-tu pas enfin la vérité sans laquelle on ne saurait vivre, surtout quand on souffre ? Tu as trop besoin de croire pour pouvoir douter. N’est-il pas vrai, quand on est bien malheureux, ne pas croire, ah ! c’est impossible !

Lucius ne put tenir contre l’irrésistible accent avec lequel la voix bien-aimée appelait son cœur à la foi ; il crut, ou plutôt, dans l’exaltation de la douleur et de l’amour, il lui sembla qu’il croyait comme Hilda ; il lui sembla que cette vérité qu’il avait cherchée si long-temps venait d’éclore subitement dans son cœur et qu’elle n’en sortirait plus. Hilda le conduisit au lieu où elle avait laissé le cadavre de Macer. Tous deux creusèrent ensemble la fosse où ils le déposèrent ; tous deux prièrent ensemble sur la terre fraîchement remuée. Dès ce moment, il y