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mourir. — Et il se retira en jetant à Hilda un de ces regards qui, malgré la forte trempe de son ame, la faisaient toujours frissonner.

Pour elle, elle marcha rapidement vers le lieu que les paroles du Hun lui avaient indiqué. Arrivée au bord de la Vallée-Noire, elle vit devant ses pieds se creuser un vaste enfoncement encombré de rochers, de troncs d’arbres, de broussailles et de grandes herbes dont la hauteur dépassait la taille humaine. Aucun bruit ne sortait de ce gouffre de sombre verdure ; une brume épaisse, éclairée par un jour blafard, se traînait lourdement à la cime muette des arbres, et sous un ciel grisâtre quelques milans tournoyaient silencieusement dans les airs. La jeune fille, animée par la charité chrétienne et aussi par la pensée de Lucius, plongea courageusement dans l’affreuse vallée, se frayant un chemin à travers tous les obstacles avec l’instinct de sa race et le souvenir de ses premières habitudes. Bientôt, à certains signes qu’une Barbare seule pouvait reconnaître, elle découvrit que quelqu’un avait passé récemment par le lieu où elle se trouvait. Son cœur battit d’espoir en voyant que les branches avaient été écartées et même brisées en différens endroits, que la mousse avait été foulée, que la fange portait l’empreinte récente de pas fugitifs. En suivant ces vestiges, elle parvint à un amphithéâtre de rochers qui s’élevait au centre de la vallée, et là elle trouva Macer assis sur un quartier de granit. Le Romain semblait absorbé dans une morne méditation. En entendant le bruit des pas d’Hilda, il tressaillit, tourna de son côté la tête avec effroi, puis, voyant qu’elle venait seule, il reprit son attitude de rêverie sombre et son air de froide impassibilité.

— Seigneur Macer, dit Hilda en s’approchant, votre humble esclave vient vous enlever aux poursuites de l’impur Bléda et vous conduire auprès de votre fils.

— Je n’ai pas besoin du secours de mes esclaves, reprit le vieux patricien sans tourner la tête vers celle qui lui parlait. Quant à Bléda, je ne retomberai pas vivant entre ses mains, et, pour mon fils, je n’ai que faire de le revoir : le spectacle de nos maux serait une misère de plus pour tous deux ; il vaut mieux souffrir seul.

— Autrefois le seigneur Macer aimait son noble fils ; peut-il refuser maintenant d’aller vers lui ?

— Oui, j’aimais mon fils, murmura Macer à demi-voix et se parlant à lui-même plutôt qu’il ne s’adressait à Hilda, je l’aimais quand je voyais en lui l’héritier opulent du nom illustre des Secundinus s’élevant aux honneurs, à la puissance ; mais l’esclave Macer n’a rien à dire au pâtre Lucius.

— Le noble Macer n’est point esclave, dit Hilda. Le chef des Francs, touché par Dieu sans doute, a abandonné à la pauvre Hilda le sort de ses maîtres, et ils seront aussi libres dans la forêt Hercynienne qu’ils l’étaient dans le prædium de Trêves.