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sentaient le pouvoir de ce je ne sais quoi de divin que les Germains reconnaissaient dans le génie des femmes. On s’écriait : C’est une magicienne, c’est une Vola, c’est une prophétesse ! Gundiok, dominé tour à tour par son mépris pour tout ce qui tenait aux Romains et par le charme magique qu’exerçaient la parole et la présence d’Hilda, éprouvait, dans les profondeurs de son ame, comme une sourde lutte entre des impulsions violentes et confuses. Cette lutte ne se trahissait que par l’inquiétude farouche de son regard. Enfin le vieux scalde, irrité de l’empire qu’Hilda semblait prendre sur les guerriers, empire dont il était averti par leurs brusques clameurs, et qu’il ne pouvait concevoir parce qu’il ne la voyait point, le vieux scalde, dans son dépit, jeta sa harpe contre terre pour la briser ; mais Hilda la releva sur-le-champ, et, se rappelant que dans son premier âge elle avait fait résonner sous ses doigts le simple instrument de son pays, elle se mit à accompagner de quelques accords pénétrans un beau cantique de saint Ambroise. Les Barbares étaient comme fascinés par le regard, par les traits, par la voix de la jeune chrétienne. Ces paroles dont ils ne comprenaient pas le sens, mais auxquelles la foi prêtait son émotion contagieuse, mêlées aux vibrations de la harpe nationale, les remuait d’une manière étrange, comme plus tard les discours latins de saint Bernard enflammèrent pour la croisade les paysans de l’Allemagne, qui n’entendaient pas la langue du prédicateur.

Gundiok, assailli par les souvenirs de son enfance et de sa famille, que le son de la harpe avait évoqués, et gagné par l’émotion de ceux qui l’entouraient, regardait avec une sorte de ravissement stupide l’enthousiasme surhumain dont s’illuminait la radieuse figure d’Hilda, et une émotion indicible gravait cette naïve et céleste figure dans le cœur étonné du Barbare. Jetant sa framée contre le tronc d’un arbre où elle s’enfonça profondément, il s’élança vers Hilda et lui dit : Fille de Marcomir, tu es mon sang ; que veux-tu de moi ?

En ce moment, Hilda comprit que Dieu maîtrisait par elle l’ame de ce lion, et sur-le-champ, voulant profiter de l’ascendant qui lui était donné, elle demanda que les trois Romains qui avaient été ses maîtres lui fussent livrés. — Cela est juste, dit Gundiok, bien loin de se douter de la généreuse intention d’Hilda ; qu’ils soient tes esclaves, en dédommagement de les parens que tu as perdus ! Dès ce moment, tous trois t’appartiennent, et si quelqu’un portait la main sur les esclaves de la fille de Marcomir, ma framée fendrait sa poitrine comme elle a fendu le tronc de cet arbre. — Et il retira avec effort l’arme terrible du chêne, qu’elle avait entamé jusqu’au cœur.

Hilda ressentit une grande joie en entendant les paroles de Gundiok, et adressa intérieurement d’ardentes actions de grâces à Dieu, qui semblait vouloir bénir tous ses desseins. Elle était remplie du