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— Ah ! s’écria-t-il, quelle que soit la divinité qui t’envoie, jeune fille, que ce soit Libera, la compagne mystique du Bacchus infernal, celle qui délivre les âmes des morts et les initie à l’immortalité ; que ce soit le Dieu que tu sers ou celui que j’adore, l’aveugle hasard, sois la bienvenue à mon heure suprême ; je m’endormirai plus doucement du dernier sommeil si tu es près de moi, et si, comme Tibulle le disait à Délie, — mourant, je tiens ta main de ma main défaillante !

— Il ne faut pas mourir, dit Hilda d’un ton ferme, il faut croire !

— Croire ? reprit Lucius avec un sourire ; le moment est bien choisi ! Il me semble que les Barbares brûlent les églises aussi bien que les amphithéâtres. Le christianisme ne semble pas devoir tenir devant eux mieux que l’empire.

— La religion de Jésus-Christ ne périra point comme la puissance des hommes ; et d’ailleurs, ajouta vivement Hilda, si les Barbares triomphent, pourquoi le Christ ne les aurait-il pas appelés ? pourquoi ne recevraient-ils pas le don de la foi ? Moi aussi je suis une Barbare, et pourtant je l’ai reçu de la bonté divine. Ô noble Lucius, si je pouvais faire passer dans ton ame la certitude et la paix qui remplissent la mienne ! si tu pouvais dire un mot, pousser un soupir, verser une larme ! Mais je suis une esclave d’un esprit grossier ; je ne trouve pas les paroles qu’il faudrait. Malheureuse ! je ne puis rien pour te sauver !

— Et d’où vient en toi, étonnante jeune fille, un si vif désir de mon salut ? dit Lucius surpris et charmé de la véhémence d’Hilda.

— N’es-tu pas le maître qu’il a plu au Seigneur de me donner, et n’as-tu pas été pour moi un maître bon et charitable ? Mon vénérable père Maxime, qui maintenant, à côté de ma sainte mère Priscilla, me regarde du sein de la gloire céleste, ne m’a-t-il pas recommandé de lui ramener son fils Lucius ? Ah ! si tu étais resté dans ton opulent prœdium, au sein de ta famille, riche, heureux selon le siècle, j’aurais pu me contenter de prier en, silence pour toi, attendant patiemment l’heure où il plairait à la grâce divine de te toucher ; mais aujourd’hui je te vois captif, séparé de tous les tiens ; tu ne peux attendre, tu as besoin de Dieu ! Si tu tardes à te tourner vers lui, tu voudras mourir, car j’ai surpris ton dessein, et moi, Lucius, entends-tu, je ne veux pas que tu meures et que tu sois damné.

— Tu veux que je vive, Hilda ? dit Lucius avec impétuosité. Ah ! je vivrai si tu peux m’aimer. Vois-tu, il n’y a plus ici de maître et d’esclave, il n’y a plus qu’une belle jeune fille et un jeune insensé qui a jeté sa vie à toutes les folies humaines et qui n’a jamais possédé une heure de félicité ; mais cette heure toujours attendue et jamais trouvée, tu peux la lui donner, Hilda. Précipité dans une condition intolérable, il allait s’en délivrer par la mort, quand tu as paru, et maintenant que tu es là, qu’il a entendu le son de ta voix, qu’il contemple ta beauté, il ne veut plus mourir, il demande à ta pitié de le sauver.