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de Gundiok et de ses Francs, bien assurés de trouver dans cette bande si pure de tout contact avec la civilisation romaine l’horreur qu’ils ressentaient eux-mêmes pour tout ce qui lui ressemblait.

Bléda, qui, après avoir guidé les Francs, les avait suivis pour ne rien perdre de la misère de son ancien maître, et pour ne pas manquer une occasion d’accroître cette misère, s’il était possible, Bléda avait contribué par ses discours à irriter la horde de Viriomar, et, quand il sut que celle de Gundiok approchait, il alla au-devant d’elle. Il lui fut facile d’irriter la colère de ce chef et de ses principaux guerriers, en leur montrant dans Macer un rusé Gallo-Romain qui, leur esclave, travaillait à les asservir. Gundiok s’avança terrible à la tête de sa troupe peu nombreuse, mais formidable, et que vinrent grossir, les mécontens de la troupe de Viriomar : tous ensemble représentaient la barbarie dans son intégrité ; ceux qui étaient restés auprès de Viriomar, la barbarie qui s’essaie gauchement à la civilisation. Les premiers devaient avoir l’avantage ; en effet, ils intimidèrent par leur résolution des adversaires indécis : ils réclamaient leurs prisonniers et leur butin. Viriomar voulut, pour leur imposer, s’entourer à leurs yeux de sa dignité récemment apprise ; ils rirent de ses efforts maladroits. Il voulut les amuser et les tromper par les expédiens d’une diplomatie novice ; mais bientôt, impatienté de ces lenteurs, Gundiok, poussant un grand cri, fendit d’un coup de frimée la porte de l’enceinte où les prisonniers étaient renfermés, et, s’y précipitant, fit main basse sur eux et sur le butin. En un clin d’œil, ils furent séparés. Gundiok entraîna Lucius. Capito fut le jouet de quelques mécontens, qui, bien à tort, le soupçonnaient d’avoir eu aussi de l’influence sur Viriomar. Pour Macer, objet principal de la haine commune, on le livra à Bléda, qui demanda cette récompense de son zèle et promit, avec un affreux sourire, qu’on ne se repentirait pas de lui avoir donné le Romain à tourmenter. — Maître, tu es habile, lui dit-il d’un ton ironique, tu connais les lettres ; sais-tu ce qu’on a écrit sur mon front ? Tiens, regarde, lis, c’est… vengeance ! — Heureusement pour Lucius, il n’entendit pas ces paroles ; il ne vit pas qui s’était emparé de son père. Au moment où Gundiok l’entraînait lui-même, le père et le fils se jetèrent un rapide et sombre regard ; chacun semblait dire à l’autre qu’ils ne se reverraient plus et qu’ils ne leur restait plus qu’à mourir. Lucius fut conduit dans une partie beaucoup plus reculée de la forêt. Ici il n’y avait aucune trace de culture et presque aucun vestige d’habitation. De vastes pâturages au milieu de bois immenses, de petites cahutes de bergers, de grandes multitudes de vaches, de brebis, de pores et de chevaux, voilà tout ce que l’œil pouvait apercevoir dans ces déserts de verdure. Lucius fut chargé de veiller à la garde de quelques chevaux qui paissaient dans une vallée profonde et au penchant des collines qui la cernaient. Laissé seul dans ce ravin si lointain, si