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éprouvé un ébranlement subit et une agitation violente : la fibre barbare avait frémi dans son sein ; elle avait été prise par momens d’un immense désir de s’échapper, de s’enfuir, de courir sur la mousse, comme une biche légère, pour aller boire à la source où, enfant, elle buvait avec ses sœurs et ses frères, pour aller se suspendre aux branches du vieux chêne qui avait ombragé la cabane paternelle ; puis elle pensait que cette cabane avait été brûlée avec ses sœurs et sa mère, que ses frères s’étaient égorgés dans l’amphithéâtre de Trêves, et les colères du sang se rallumaient dans ses veines. Priscilla ni Maxime n’étaient plus là pour calmer ces émotions ardentes ; mais la douce figure de Lucius venait se placer entre Hilda et les Romains qu’elle allait maudire et peut-être quitter ; Hilda leur pardonnait et ne partait point.

Ce réveil des affections de la famille et de la patrie, agissant de concert avec l’ardeur de sa foi, qui tendait toujours à se communiquer et à se répandre, produisit encore un autre effet sur l’ame d’Hilda : elle lui inspira un désir pressant de faire entendre la parole de Dieu à ses frères. La bande de Gundiok était une portion de sa propre tribu ; elle avait même reconnu le jeune chef, qui était un de ses parens, et avec lequel elle avait joué, dans son enfance, sous les vieux arbres de la forêt : c’était lui surtout qu’elle désirait sauver. Elle se faisait une grande joie d’arracher son propre sang à l’empire du démon. Bien que Gundiok lui eût apparu dans l’église de Trêves au milieu des chrétiens égorgés, elle ne désespérait pas de réussir à le toucher ; elle avait une confiance sans bornes dans la grâce toute-puissante de Dieu ; elle se souvenait que Maxime et les fidèles avaient prié pour le salut de leurs ennemis, et il lui semblait que le souhait d’une si admirable charité devait être exaucé. Elle n’avait pas dans les Francs dégénérés de Viriomar la même confiance, et, malgré la férocité plus grande de Gundiok et des siens, elle regrettait presque leur absence ; mais les prisonniers ne devaient guère tarder à se retrouver sous leur empire.

Voici ce qui se passa pendant que dura cette absence. Viriomar, malgré la hauteur qu’il affectait envers ses captifs, n’était pas insensible à la vanité de leur montrer qu’il parlait la langue latine, qu’il connaissait les usages et les mœurs des Romains. Il les faisait amener devant lui pour se donner le plaisir de pérorer en leur présence, et de les étonner par tout ce qu’il savait ou croyait savoir de l’état dans lequel se trouvaient les armées, les forteresses, les provinces, et même des intrigues un peu anciennes auxquelles, sous Gratien, il avait pris une part obscure. Lucius et Capito, par des raisons diverses, ne prêtaient à ces discours qu’une oreille distraite et indifférente. Macer les écouta d’abord avec un silencieux dédain, mais bientôt il crut découvrir dans cette faiblesse de Viriomar une chance dont il pourrait