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carrosse, tous les signes du plus grand bien-être et de la plus exacte discipline répandus sur la face de ce délicieux pays, nous auraient inspiré une confiance sans bornes dans l’avenir des possessions espagnoles. Les autres parties des Philippines répondront peut-être un jour aux traits de ce tableau; mais pendant long-temps encore la province de Batangas, celles de Tondo et de Bulacan, que nous nous préparions aussi à visiter, ne seront qu’une heureuse exception dans l’île de Luçon. La province de la Laguna, avec ses beautés pittoresques et ses terrains en friche, représente plus fidèlement que ces portions privilégiées du territoire l’état actuel des Philippines.

Nous avions été chaudement recommandés à l’alcade de Batangas, et ce fut à la porte de la préfecture que notre birlocho vint s’arrêter. La fortune ne pouvait nous envoyer une plus heureuse rencontre que celle de l’alcade de Batangas, administrateur aussi distingué qu’aimable et courtois caballero. Nous avions déjà puisé de précieuses notions sur le gouvernement local des Philippines dans les entretiens bienveillans des amis que nous comptions à Manille; ici nous trouvions le rare avantage d’écouter des leçons que nous allions voir mettre en pratique. Vers deux heures de l’après-midi en effet arrivèrent à Batangas les officiers municipaux de San-José, de Lipa, de Rosario, de toute la partie orientale de la province. L’alcade les reçut en notre présence, leur rappela les devoirs qu’ils avaient à remplir, et, distribuant à chacun les insignes de ses fonctions, remit à l’un le baston à pomme d’argent, à un autre une canne plus simple, à tous el bejuco. « Toma! disait il en passant devant le front des alguaciles, prends ce rotin et ne t’en sers que pour la gloire de l’Espagne et le bonheur de tes compatriotes! »

En quittant la cabecera de Batangas, il nous sembla que nous connaissions mieux les Philippines. Nous serrâmes affectueusement la main de don José Paëz y Lopez, et, comblés par l’aimable alcade de mille attentions, nous partîmes dans sa voiture pour San-José et Lipa, où nous trouvâmes un gîte. Nous étions arrivés sur un plateau élevé où l’air vif et pur nous faisait oublier que nous étions sous les tropiques. Pour regagner la rivière de Calamba, à l’entrée de laquelle nous attendait notre chaloupe, le chemin le plus direct et surtout le plus facile devait nous ramener, par Tanauan, à Santo-Tomas. C’est en descendant de Lipa vers Tanauan que nous vîmes la route bordée non plus de rizières, mais de champs de blé. La vue de cette production des climats tempérés ramena nos pensées vers l’Europe : quand reverrions-nous nos fertiles guérets, nos heureuses campagnes? Quand pourrions-nous respirer l’air natal et ne plus voir qu’en souvenir ces contrées si fécondes et si belles, mais moins belles encore que la France? Les Philippines sont peut-être le seul point de la zone torride