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Le soir même, nous quittâmes la ferme de Calauan; nos pirogues suivaient déjà le bord du lac pour aller nous attendre au village de los Baños. Nous avions préféré traverser la plaine à cheval. Une source d’eau thermale avait jadis donné quelque importance à la paroisse de los Baños; cette source est aujourd’hui négligée. La piscine, bâtie sur le bord du lac, tombe en ruines, et les habitans de los Baños n’ont plus rien qui les dédommage du spectacle des sites désolés qui les entourent. Un religieux de l’ordre de saint François est chargé de desservir cette misérable cure. Depuis onze ans, il vit dans ce désert; sa seule distraction est de relire les actes des apôtres franciscains aux Philippines et de recueillir de nouvelles observations à l’appui du système historique qui veut faire descendre les Tagals des Hébreux, parce que les Tagals s’accroupissent pour manger et conservent encore, malgré les défenses de l’église, la pratique juive de la circoncision.

Nous ne passâmes qu’une nuit au village de los Baños. Le lendemain, avant le point du jour, nous nous retrouvions sur le lac. Grâce au vent d’est, nous espérions arriver à Manille le jour même. Une journée de trente-cinq milles n’était rien pour nos pirogues depuis qu’elles avaient arboré à Santa-Cruz leur petite voile de natte. Avant le coucher du soleil, nous avions franchi la bouche méridionale du Passig, et minuit n’avait pas sonné, que, prêts à rentrer à bord de la Bayonnaise, nous pouvions secouer la poussière de nos pieds sur le quai de Binondo.


III.

Cette première campagne nous avait laissé entrevoir l’avenir agricole des Philippines, mais elle nous avait aussi montré l’industrie européenne aux prises avec la mollesse et l’inconstance des Indiens. Si l’on avait pu s’enrichir en exploitant ce sol toujours prêt à porter de nouvelles moissons, M. Vidie et don Iñigo en auraient trouvé le secret. Nous avions donc emporté de notre voyage dans la province de la Laguna la conviction que le temps des grandes spéculations n’était pas venu pour les Philippines, qu’il fallait se résigner pendant de longues années encore aux procédés imparfaits et aux produits insuffisans de la petite culture. Ce qu’on pouvait demander au gouvernement, c’était d’établir à ses frais, ou du moins sous son patronage, des centres de fabrication, où chaque Indien apporterait sa récolte et profiterait, sans y songer, de toutes les économies et de tous les progrès réalisés par la science. Une intervention plus directe de la part de la métropole dans la culture coloniale semblait ne devoir entraîner que des sacrifices inutiles. Toute idée d’amélioration, qu’on ne l’oublie point, vient fatalement se heurter aux Philippines contre les ménagemens qu’exige la population. Voulez-vous tracer un nouveau