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une distraction inespérée, et je m’accuse, pour ma part, d’avoir bien passé huit ou dix minutes à voir frissonner ces bordures de mimosa pudica. Nos pirogues cependant étaient prêtes à mettre à la voile; nous allions nous embarquer, quand un Indien, dont le regard soupçonneux suivait depuis une demi-heure tous nos mouvemens, se rapprocha de nous et parut disposé à mettre obstacle à notre départ jus- qu’au moment où nous l’aurions suivi chez le gobernadorcillo. Le malheureux alguacil nous prenait probablement pour des Anglais, et on sait que les Anglais sont toujours à la veille d’envahir la colonie; mais nous avions en poche de quoi calmer les scrupules du plus féroce agent de police : Que no se los molesten ! De par la reine d’Espagne et les autorités de Pagsanjan, alguazil, ne nous molestez pas!

Sur les bords du lac de Bay, on ne compte que trois propriétés d’une certaine étendue : la Jala-Jala, que nous venions de visiter, un vaste domaine appartenant aux dominicains, dont la gestion est confiée à des frères lais, et la ferme de Calauan, dans laquelle le patriotisme et l’esprit ingénieux de don Iñigo d’Assaola ont voulu faire l’essai d’une grande exploitation agricole. Nul homme dans les Philippines ne jouissait d’une réputation mieux méritée de bonne grâce et de bienveillance que don Iñigo d’Assaola. Nous pensâmes qu’il ne nous refuserait point un gîte pour la nuit, et nous combinâmes nos mouvemens pour arriver à Galauan avant le coucher du soleil. Si l’on contourne les bords du lac, on rencontre à chaque pas des ruisseaux qui débouchent dans ce grand réservoir. En dépassant de deux milles environ la ferme de Galauan, nous devions trouver la rivière de Bay, dans laquelle entreraient facilement nos pirogues, et d’où nous pourrions gagnera pied ou à cheval la propriété de don Iñigo. La brise nous favorisa dans cette traversée. En moins de trois heures, nous eûmes franchi les neuf milles qui séparent Santa-Cruz de la rivière qui donne son nom au lac de Bay. Le village, bâti sur les bords de ce ruisseau fangeux, était en ce moment envahi par les fièvres. La majeure partie des habitans semblait avoir le frisson. Nous avions établi notre campement au milieu d’un jardin pour laisser aux ardeurs du jour le temps de s’apaiser, quand un jeune métis des Philippines découvrit notre retraite et voulut nous entraîner jusqu’à sa demeure. Il fallut céder à d’aussi vives instances. Des nattes furent étendues sur le parquet de bambou, et jusqu’à quatre heures du soir nous écoutâmes dans un demi-sommeil les histoires de notre hôte. A quatre heures, le gobernadorcillo était parvenu à rassembler des poneys en nombre sutiisant pour notre troupe et pour notre escorte. Nous dîmes adieu au village de Bay, et partîmes au galop pour la ferme de Calauan.

La plaine que nous traversions avait dû présenter un magnifique coup d’œil quand les rizières ondoyaient au moindre souffle de la brise; mais la moisson était faite, et de grandes meules de palay,