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combattans, et, s’il succombe, on s’attendrit douloureusement sur son sort.

Quelque dégoût que puissent inspirer les péripéties de ces scènes cruelles, dès qu’on veut étudier le peuple de Manille, il faut se résigner à en supporter le spectacle. Quitter l’île de Luçon sans avoir assisté à un combat de coqs, ce serait quitter l’Espagne sans avoir été témoin d’une corrida de taureaux. Le voyageur a rarement le loisir de contrôler et d’approfondir ses impressions. Pour juger les peuples divers qui passent rapidement sous ses yeux, il faut qu’il saisisse le moment où leurs passions excitées mettent pour ainsi dire à nu leur être intérieur. Si vous voulez apprécier en quelques instans les traits les plus saillans du caractère tagal. si vous voulez voir l’Indien, oublieux de son apathie, se montrer au grand jour, c’est au milieu des solennités religieuses, c’est dans l’enceinte de la gallera que vous devrez le suivre. Quand vous l’aurez observé dans la simplicité de sa foi et dans l’ardeur frénétique de ses jeux, vous connaîtrez les deux principaux ressorts qui font mouvoir son ame.

Les habitans qui peuvent se targuer à tort ou à raison d’une origine européenne forment à Manille une aristocratie qui a plus de prétentions que de privilèges. Les métis, issus de femmes tagales et de pères espagnols ou chinois, composent ce qu’on pourrait appeler la classe moyenne. Le nombre des habitans d’origine espagnole, hijos del pais, celui des Chinois du Fo-kien, ou sangleyes, demeurent à peu près stationnaires. On compte à peine 5,000 Européens et 10,000 Chinois dans l’île de Luçon ; les derniers recensemens accusent au contraire une progression rapide dans le chiffre des métis. On évalue à 20,000 âmes la classe des métis espagnols, à 160,000 celle des métis sangleyes. La plupart des Chinois sont restés fidèles au culte de Bouddha. Ils sont venus à Manille pour s’enrichir, et ne songent qu’au moment où ils pourront se rapprocher des tombeaux de leurs ancêtres; mais leurs enfans, élevés par des mères chrétiennes, professent tous la religion catholique. Avec leur sang mongol, les Chinois ont transmis à cette race intermédiaire leur industrie et leur esprit spéculateur. Les métis, et surtout les métis chinois, sont les seuls capitalistes des Philippines. Ils ont le sentiment de l’avenir; les Indiens ne l’ont pas. Dès qu’un Tagal a gagné une piastre, il ne songe qu’au moyen de la dépenser; ce dissipateur insouciant est la cigale de la fable. Le métis au contraire a reçu en partage l’instinct économe et prévoyant de la fourmi, il s’enrichit par ses épargnes plus encore que par ses spéculations : les grandes affaires lui font peur; mais il excelle dans les transactions dont les produits agricoles des Philippines sont l’objet. Son tempérament flegmatique s’adapte merveilleusement à la lenteur de conception de la race indienne. Sa condescendance, sa patience