Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une vision fugitive : en quelques jours, elles avaient déroulé sous nos yeux leur panorama enchanteur. À Manille et dans l’île de Luçon, la satiété eut le temps de refroidir notre enthousiasme : aujourd’hui cependant, évoquée par de lointains souvenirs, cette riche et somptueuse nature m’apparaît encore dans toute sa pompe et dans toute sa beauté.

Les Philippines ne connaissent, comme presque toutes les contrées situées sous les tropiques, que deux saisons bien distinctes : la saison pluvieuse et la saison sèche. Dès que la mousson de sud-ouest règne dans la mer de Chine, l’île de Luçon voit ses champs inondés par de longues journées de pluie ou de soudains orages. Vers la fin du mois de juillet s’élèvent les vents d’ouest, qui roulent souvent d’énormes vagues sur la plage de Manille. Du mois d’octobre au mois de décembre, les deux moussons se combattent et se repoussent. Ce ne sont plus alors les vapeurs d’un jour d’été qui vont se condenser au sommet des montagnes ; ce sont de lourdes nuées que des brises variables rassemblent des extrémités opposées de l’horizon. Sur aucun point du globe, nous n’avons contemplé de scènes plus grandioses que celles dont nous ont rendus témoins les orages qui éclatent à cette époque sur les côtes des Philippines ; mais, pour frayer le chemin à la mousson du nord-est, pour refouler au-delà de l’équateur la mousson contraire, des convulsions passagères ne sauraient suffire. Il faut une crise suprême, un typhon qui parcoure dans sa rage toutes les aires de vent du compas, qui balaie successivement tous les coins du ciel. Cette crise se déclare rarement avant le mois de novembre, plus rarement encore elle se fait attendre au-delà du 15 décembre. Avec le dernier souffle de l’ouragan expire la saison pluvieuse. L’air est redevenu pur et diaphane ; les vents d’est rafraîchissent l’atmosphère, que vont embraser bientôt les journées limpides et brûlantes du mois de mars. C’est pendant ce trop court hiver qu’il faut visiter l’île de Luçon. La mousson dans toute sa force pourrait vous conduire alors en moins de trois jours de la rade de Macao à l’entrée de la baie de Manille ; mais, dès que vous serez arrivé à la hauteur du cap Bojador, vous verrez les vents s’apaiser et les flots s’aplanir. Quelques heures ont produit un changement complet de climat : vous ne voguez plus sous le même ciel, les rafales ont cessé, et vous glissez doucement jusqu’à la pointe de Maribelès, où des brises plus fraîches vous attendent.

C’est alors que vous pourrez choisir, pour donner dans la baie, une des deux passes que sépare comme un mur gigantesque l’îlot du Corrégidor. Si, guidés par le phare qui signale au navigateur l’approche du port, vous atteignez le mouillage de Manille au milieu de la nuit, le lever du soleil vous montrera ce vaste bassin dans toute sa splen-