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extrêmement sensées, parfaitement naturelles, franches, sachant parler de tout. Rien d’aussi aisé et d’aussi agréable que leur entretien ; rien de plus à propos que leurs réponses et leurs observations. L’aînée, à ce que j’ai découvert par hasard, entend le latin, et par le français absolument comme une Française. La plus jeune dessine d’une manière charmante… Leur figure a tout ce qui plaît. Marie, la plus âgée, a un visage doux avec de beaux yeux noirs, qui s’animent quand elle parle, et la régularité de ses traits emprunte à sa pâleur quelque chose d’intéressant. Agnès, la cadette, a une physionomie agréable, intelligente, qu’on ne peut dire belle, mais presque… Le bon sens, l’instruction, la simplicité, la bonne grâce, caractérisent les Berrys… Je ne sais laquelle j’aime le mieux. »

Ce fut une singulière bonne fortune pour Walpole que de rencontrer ainsi à la campagne et tout près de lui une société telle qu’il l’aurait cherchée, telle qu’il l’aurait choisie. Lui-même il était pour elle une ressource précieuse. Ses livres, ses tableaux, son jardin, et mieux encore, ses souvenirs et sa conversation, tout devait intéresser deux jeunes personnes distinguées qui recevaient là, pour ainsi dire, la dernière éducation de leur esprit. Il s’habitua à les aimer comme sa vraie famille ; il leur consacra les soins d’une amitié délicate, empressée, charmée. On dit même qu’il comprit mieux alors les sentimens que Mme Du Deffand avait éprouvés pour lui, et, soit qu’il voulût assurer et relever la fortune d’une famille profondément intéressante, soit que la beauté et la jeunesse eussent produit sur son cœur une impression qu’il s’avouait à peine, il offrit à miss Mary Berry de prendre son nom. C’était lui proposer de devenir comtesse d’Orford, car, bien qu’il n’eût jamais voulu se faire recevoir à la chambre des lords, il avait hérité par la mort de son neveu, en 1791, du titre de son père et des restes de la fortune laissée à l’aîné de la famille ; mais il s’adressait à une ame élevée, sincère, et n’obtint qu’une tendre et pieuse reconnaissance que plus d’un demi-siècle n’a point affaiblie. Miss Mary Berry, qui n’a perdu sa sœur qu’il y a quelques mois, conserve, dans un âge très avancé, toutes les facultés d’un esprit rare. Aimée et vénérée de l’élite de la société anglaise, elle l’entretient encore de l’homme remarquable dont la renommée doit tant à ses soins.

Horace Walpole mourut le 2 mars 1797 ; il était donc dans sa quatre-vingtième année. Ses infirmités avaient, dans les derniers temps, altéré son humeur, mais non son esprit, et il écrivait encore, le 15 janvier, à lady Ossory :

« Vous m’affligez infiniment en montrant mes futiles billets, et je ne saurais concevoir qu’ils puissent amuser personne. Mon éducation à la vieille mode me pousse de temps en temps à répondre aux lettres que vous me faites l’honneur de m’écrire ; mais, en vérité, c’est bien contre mon gré, car il est rare que j’aie rien à dire d’intéressant. Je sors à peine de chez moi, et