Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur notre compte bien des jugemens dont la France doit appeler ; mais, après tout, elle ne peut ni s’étonner ni se plaindre si, en décrétant la terreur, elle l’a inspirée.

On peut trouver Walpole très inconséquent ; les Anglais le sont souvent, et c’est par là qu’ils sont politiques. Le nôtre vante la révolution de 1688, et il ne peut souffrir celle de 1789 ; il respecte peu les religions établies, prédit la fin du catholicisme, ne ménage ni Luther, ni Calvin, ni l’université d’Oxford, professe le déisme avec Gray et Mme Du Deffand, et puis il s’indigne des témérités religieuses de la nation française. Il se dit, ou peu s’en faut, républicain, ne regrette rien de ce qu’on a fait aux Stuarts, et puis il se lamente sur la chute de la monarchie de Versailles. Je signale ces contradictions, je ne les accuse pas. Tant que la France n’aura pas su les résoudre, elle n’a pas le droit de s’en plaindre.

Walpole septuagénaire et tory détourna ses yeux de la politique, il n’y jeta plus que de loin en loin un triste regard ; mais il consacra autant d’instans qu’il put à ses anciens goûts, dont aucun ne l’abandonna ; ses facultés, que ses infirmités respectèrent jusqu’au dernier jour, lui permirent de cultiver toujours les lettres, les arts, la société. La goutte même n’altérait ni son esprit ni son humeur, et lui interdisait rarement la vie du monde. Il avait cessé d’habiter dans Londres, la maison léguée par son père et dont le bail ou plutôt l’usufruit expira en 1770. Il s’était logé dans Berkeley-square, où il demeura jusqu’à sa mort. Il laissa dans Arlington-street une maison qu’une entrée de château-fort gothique fait quelquefois prendre pour la sienne, et qu’il avait bâtie pour une de ses amies, lady Pomfret ; mais son établissement à la ville n’eut jamais rien de remarquable. C’est à la campagne qu’il se livrait à ses penchans, qu’il jouissait de son luxe, qu’il recevait du monde et qu’il voulait être aimable. On a plus d’un récit de la vie qu’il menait à Strawberry-Hill. Pinckerton dans le Walpoliana, miss Hawkins dans ses Réminiscences, ont décrit sa personne, ses habitudes, ses manières, et Reynolds a fait son portrait en 1757. Nul homme ne peut être, si l’on veut, aussi bien connu, nulle existence ne serait plus facile à raconter jusque dans ses détails de chaque jour. Douze à quinze volumes de correspondance divulguent bien des secrets et nous apprennent jusqu’aux visites qu’il a faites ou reçues. Quand on parcourt les appartemens délabrés de sa villa tant prônée, il est facile de s’y représenter un gentilhomme mince et pâle, avec une physionomie intelligente, de beaux yeux noirs et vifs, un regard pénétrant, un sourire triste, un air de faiblesse maladive et même un peu féminine, des manières aisées, polies, distinguées, une démarche ralentie par la goutte, soigné dans sa mise, habillé de couleurs claires, la tête toujours nue, les cheveux sans poudre, du moins en été, et