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idées. Celui-ci avait fini par le regarder comme à lui ; mais il advint qu’un jour Mason fit acte d’indépendance : il se sépara de son exigeant ami, en se montrant, vers 1784, avec M. Pitt, plus réformiste que lui, et contre M. Fox, plus attaché que lui à la prérogative royale. Ce désaccord mit un terme à l’amitié et à la correspondance. On voit que la politique ne perdait pas tous ses droits sur Walpole ; il continue d’en suivre les mouvemens avec une attention plus désintéressée qu’impartiale ; il écrit sur les affaires un peu à tout le monde, à Conway, à lord Hertford, à Montagu, mais surtout à sir Horace Mann, à qui il ne cessa jamais d’envoyer son journal. Le temps néanmoins en affaiblit un peu la vivacité, en amortit un peu la couleur : écrire pendant trente ou quarante ans à un ami absent, qu’on n’a vu que quelques mois dans toute sa vie, est une chose singulière ; l’intimité ne peut continuer d’être la même avec un homme qu’on ne connaît que de souvenir, qui a vieilli loin de vous, qui a changé sans vous, et qui reçoit en idées beaucoup plus qu’il ne donne. Cependant c’est bien pour la politique les lettres à sir Horace Mann qu’il faut placer les premières, comme pour la littérature, à l’époque où nous sommes arrivés, les lettres à Mason ; pour les choses de la vie du monde, les lettres à la comtesse d’Ossory. Cette nouvelle correspondante commence à paraître en 1769. On sait, par Junius, que le duc de Grafton n’était pas un mari fidèle ; il paraît qu’il en fut puni par le talion, et, après une rupture qui fit un peu d’éclat, sa femme, devenue libre par acte du parlement, épousa John Fitz-Patrick, comte de Upper-Ossory. C’était une personne dont l’esprit facile et piquant plaisait infiniment à Walpole. Il lui écrit avec beaucoup de liberté et d’envie d’être aimable, et, pendant plus de vingt-cinq ans, il l’amuse de ces causeries épistolaires qui nous donnent le mieux l’idée de sa vraie conversation ; il lui disait les choses qu’il ne pouvait dire à Mme Du Deffand, qui ne connaissait pas Londres, à Horace Mann, qui l’avait oublié.

Il ne devait pas d’ailleurs conserver long-temps la première. Au mois de septembre 1780, elle mourut en lui laissant ses papiers et son petit chien. Le tout fut transporté à Strawberry-Hill, et les manuscrits que Walpole a toujours soupçonnés de n’être pas intacts, quand on les lui remit, ont servi à compléter l’édition des lettres en 1810. Ce qui en reste a été acheté, par M. Dyce Sombre, à la vente du mobilier de Strawberry, et paraît contenir des choses qu’il serait curieux de publier, — un journal de Mme Du Deffand, par exemple. Quand Walpole la perdit, il ne l’avait pas vue depuis assez long-temps, mais il n’avait pas cessé de s’occuper d’elle. Leur correspondance ne s’était pas ralentie ; il lui avait dédié son édition des Mémoires de Grammont. Quand les mesures financières de l’abbé Terray menacèrent de la ruiner, il lui offrit le secours de sa fortune avec beaucoup de