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L’année même où Walpole quitta la chambre des communes, il publia ses Doutes historiques sur la vie et le règne de Richard III. C’est là, ne lui en déplaise, un ouvrage où il a pris toutes les allures d’un écrivain de profession. Il n’avait pas une foi bien robuste dans l’histoire, comme tous les gens qui ont vu les affaires de près et qui la trouvent, à la prendre telle qu’elle a été écrite, insuffisante, incomplète, dirai-je le mot ? invraisemblable. L’idée lui était venue que le portrait de Richard III par les historiens pouvait bien être un caractère fabriqué par le préjugé et l’imagination. Quant aux événemens de sa vie, il lui semblait que, même avant Shakspeare, l’histoire en avait fait une tragédie. La plupart de ses crimes lui paraissaient peu probables, étant, suivant toutes les apparences, contraires à ses intérêts. En vertu de cette idée, qui n’est pas la meilleure du monde pour juger les hommes, car leur intérêt est moins puissant que leur nature, et il est subordonné à la portée de leur intelligence, Walpole entreprit de critiquer l’histoire du célèbre usurpateur, discutant avec beaucoup de sagacité et de méthode les témoignages de l’auteur de la chronique de Croyland et de sir Thomas More, qui sont les principaux accusateurs du duc de Gloucester au tribunal de la postérité. De cet examen, les crimes de Richard III sortent obscurs et douteux. Non-seulement Henri VI, non-seulement Clarence, non-seulement Hastings cessent d’être les victimes avérées d’une cruauté notoire, mais le meurtre même de ces jeunes enfans d’Édouard IV, tant lamenté, tant célébré par l’histoire, la poésie, la peinture, devient un récit hasardé, défiguré, que la malveillance et la pitié ont accueilli de concert, et que l’imagination a rendu populaire. On convient généralement que Walpole a mieux prouvé son talent que sa thèse ; il a médiocrement ébranlé la croyance des doctes et du public, et Richard III, pour l’histoire, est toujours le bossu que vous savez, le héros moqueur, audacieux, pervers que Shakspeare a fait revivre. L’ouvrage destiné à le réhabiliter n’en fut pas moins remarqué à sa naissance ; il est cité comme un modèle de ce genre de discussion. Il doit arrêter tout historien dans sa marche, pour le forcer à l’examen. À peine publié, il provoqua les objections d’érudits estimables auxquels il fallut bien répondre, et Walpole, touché au vif par les critiques, se livra vaillamment aux devoirs du métier. Il disputa, il répliqua, il rompit même avec la société des antiquaires, dont il était membre, parce qu’elle avait entendu ses adversaires. Ainsi complété par des dissertations polémiques, son livre est l’œuvre non d’un érudit, mais d’un écrivain qui saurait l’être, et l’on peut y étudier l’art de discuter sans ennui et de séparer l’exactitude de la pédanterie. Il a été plus d’une fois réimprimé, et il en existe une traduction attribuée à Louis XVI, qui certes était bien désintéressé dans la réhabilitation des tyrans.