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aventure invraisemblable et commune, dans un tissu de rencontres mal motivées, de brusques reconnaissances, de prodiges obscurs et vagues ? Les sentimens sont vrais, mais ils ont quelque chose de banal. Les croyances du temps n’y sont pas décrites avec ces traits naïfs qui persuadent le lecteur et l’enlèvent au sien. Les chevaliers de Walpole sont comme ceux de Voltaire dans ses contes, ou de Sedaine dans ses opéras comiques, et le sujet mis en dialogue ferait un de ces mélodrames classiques qu’on aimait en France il y a quarante ans. Un chevalier qui revient de la croisade retrouve son château et son fief au pouvoir d’un usurpateur ; de bons moines prennent parti pour lui, des miracles lui viennent en aide, et le tyran finit par succomber. Nous demandons pardon à sir Walter Scott ; mais, en lisant un tel récit, il ne faut pas se rappeler un certain chevalier qui revint aussi de la croisade en de semblables circonstances, et qui s’appelait Ivanhoë, ou l’on s’expose à trouver l’inventeur du XVIIIe siècle un bien pauvre poète auprès du chroniqueur anglo-saxon que notre siècle a vu naître.

Cette fois encore pourtant l’idée de Walpole est bonne. Concevoir que le roman de chevalerie pouvait être dépouillé de ses formes conventionnelles pour devenir une peinture idéale et vraie de l’humanité d’un autre âge, c’était découvrir et marquer un but nouveau à l’imagination des conteurs, et, de même que dans ses retours vers l’architecture gothique il a réussi, non à la reproduire, mais à la faire comprendre, et plus tard mieux imiter, ainsi sa tentative dans le genre romanesque a dû suggérer aux artistes d’une autre époque des combinaisons nouvelles, et tout à la fois leur inspirer l’amour et leur révéler le secret du passé. Le mot du prédicateur : « Faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais, » est l’éternelle devise des esprits critiques qui se sont mêlés d’inventer.

Walpole était encore dans la primeur de son succès, lorsqu’il résolut d’exécuter ce voyage en France long-temps projeté. La chute de Grenville et les refus capricieux de Pitt venaient d’amener au pouvoir le général Conway avec le titre de secrétaire d’état, sous la direction du marquis de Rockingham. C’était une administration de jeunes whigs, où prévalaient un esprit bienveillant, un désir sincère de servir la nation et de lui plaire, enfin une bonne intention générale soutenue par le talent facile de Conway, mais destituée de l’autorité d’une grande expérience ou d’un grand caractère, un pouvoir enfin sans commandement. Walpole avait assisté son ami dans la formation laborieuse du cabinet, dont il espérait peu. Il s’attendait qu’il lui serait fait des offres qu’il était, dit-il, résolu à refuser. Conway, d’un caractère noble, mais léger, n’y songea pas, et Walpole ne crut pouvoir mieux lui témoigner sa froideur qu’en le quittant dans le pouvoir après l’avoir suivi dans l’opposition. Il partit pour Paris le 9 septembre 1765, et il y resta huit mois.