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d’abord, puis ménagé, recherché par les plus habiles et les plus éclatans de ses rivaux, il fut forcé sans doute de traiter successivement avec eux, mais il les força également à transiger avec lui, et il sut tour à tour les exclure, les accepter et les renvoyer. Cette conduite, si long-temps heureuse, quelquefois judicieuse, jamais inspirée par un noble sentiment ni par une grande vue, est-elle cependant le triomphe exclusif de la platitude et de l’ineptie ? On s’accorde à reconnaître eu lui le plus persévérant et le plus actif des intrigans. Il ajoutait apparemment à ce don, si c’est un don, un certain bon sens pratique, l’art de connaître et de gagner les hommes par leurs plus petits côtés, une aptitude d’instinct perfectionnée par l’expérience, et il faut croire que ses manies et ses travers, sujet éternel de risée, sa fausseté notoire qui trouvait des rieurs plus que des dupes, ses discours remplis de non-sens, ses bévues, le divertissement du beau monde, devaient dissimuler quelques qualités sérieuses dont elles assuraient le succès en les dérobant à la défiance et à l’envie.

Cependant, s’il ne voulait gagner du temps, la formation du cabinet de 1754 fut une imprudence. Il s’exposait, avec trop peu de moyens de défense, à la coalition certaine de Fox et de Pitt. Vainement fit-il avocat-général Murray, qui devint le principal orateur ministériel. Murray avait beaucoup de talent, mais il était surtout homme de loi, et la politique n’était que l’instrument de sa fortune judiciaire. Pitt entreprit de le réduire au silence en l’intimidant, et Fox se chargea de mettre en pleine lumière l’insuffisance des ministres à département. S’ils n’enlevèrent pas la majorité au cabinet, ils lui ôtèrent cette confiance en lui-même sans laquelle tout gouvernement est impossible. En même temps, une rupture long-temps prévue éclata entre la France et l’Angleterre, et la guerre en Amérique répondit à celle dans laquelle le grand Frédéric tenait fixés les yeux de l’Europe. Son oncle, George II, n’avait pu, comme prince allemand, rester étranger à la lutte continentale ; la Grande-Bretagne appuyait par des subsides les puissances auxquelles elle refusait le secours de ses armes. C’étaient de trop grandes affaires pour un ministère qui ne se connaissait qu’aux expédiens. On avait destitué Pitt et disgracié Fox sans le destituer. On voulut abdiquer aux mains de lord Granville, qui cette fois n’accepta pas, et il fallut donner les sceaux de secrétaire d’état à Fox, qui oublia que Pitt restait dehors. Aussi, dès le début de la session, s’éleva-t-il sur les traités qui mettaient les Hanovriens et les Hessois à la solde de l’Angleterre un débat terrible. On obtint la majorité sans doute, et même elle fut très forte. L’opposition n’avait qu’un état-major, disait-on, et manquait de soldats ; mais la vie parlementaire s’était ranimée, les passions recommençaient à gronder par la voix de l’éloquence. L’Angleterre est revenue, écrivait Walpole à Bentley.