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cette étude serait sans fin, et cependant nous n’en aurions pas épuisé le sujet, car la politique n’était pas l’unique affaire de Walpole. Il était surtout un homme du monde, et il peint la société aussi bien qu’il l’observe. Pour le connaître tout entier, il faudrait donc, quand il sort de Westminster, le suivre à l’opéra ou au Wauxhall, il faudrait l’entendre parler de la beauté des deux miss Gunning, des bons mots de Selwyn et de Chesterfield, des caprices de lady Townshend et de lady Caroline Petersham ; mais ce serait là encore un récit infini, et tenant pour accordé que notre héros vivait dans la meilleure compagnie de Londres, également habile à l’amuser, à la juger, à la décrire, j’arrive brusquement au grand événement de sa vie. Dans le mois de mai de 1747, il acheta Strawberry-Hill.

Pour peu qu’on ait passé huit jours en Angleterre, on a vu Richmond, et, si l’on a vu Richmond, on a remonté le cours tranquille de la Tamise, qui, d’un large bras de mer agité et noirci par tous ces mille vaisseaux pressés entre deux lignes immenses de magasins couleur de suie, devient, à quelques milles de Londres, une jolie rivière toute champêtre, dont les eaux limpides et lentes baignent à pleins bords deux rives d’un vert éclatant. Là les yeux enchantés n’aperçoivent qu’humides prairies, arbres épais, élégantes habitations, enfin le plus riche paysage de l’Angleterre noyant ses masses de verdure et de fraîcheur dans cette vapeur bleuâtre qui prête à la campagne un charme fantastique. Sur la rive gauche, en face de la colline boisée de Richmond que Thompson a chantée, s’étend le bourg de Twickenham, illustré par la présence de pope, et qui offrit un riant asile à de nobles exilés. Là, sur cette allée de jardin qu’on appelle la route de Hampton-Court, il y avait, cent ans avant nous, une chétive maison des champs, séparée de la rivière par deux ou trois prés. Elle avait été bâtie par le cocher d’un grand seigneur, puis habitée successivement par un poète, par un évêque, par des pairs du royaume, et elle l’était enfin par une marchande fort en vogue à Londres, et qui la vendit à Walpole comme un des joujoux dont elle faisait le commerce. Du moins s’en empara-t-il avec une joie d’enfant, charmé d’avoir beaucoup à créer, car il n’y trouvait guère à conserver que la place, l’herbe et la vue. Il commença par lui donner, au lieu du nom vulgaire de Chopp’d Straw-Hall, un nom qu’il découvrit dans quelque vieux titre, celui de Strawberry-Hill (colline aux fraises), et il s’occupa sans délai d’en faire une résidence à son gré. Une description complète et minutieuse nous serait facile. Comme il passa vingt-cinq ans à l’agrandir, à l’embellir, et toute sa vie à l’admirer, ses lettres sont une continuelle peinture tantôt du site, tantôt du jardin, tantôt du bâtiment, avec toutes les merveilles et toutes les frivolités qu’il y avait réunies. Ses projets, ses travaux, ses plantations, ses constructions, la