Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est certain aujourd’hui que la société laïque du moyen-âge a connu aussi une sorte de légende dramatique où la musique intervenait. Le plus connu de ces drames, mêlés de musique, et qu’on peut considérer comme l’origine de notre opéra-comique, est celui intitulé : le Gens de Robins et de Marion, qu’Adam de la Hale, poète et musicien célèbre du XIIIe siècle, paraît avoir composé Naples vers 1285. On le voit, il n’y a jamais dans l’histoire de solution de continuité, et si, comme l’a dit tout récemment M. Vitet dans sa belle étude sur la Chanson de Roland, les arts du moyen-âge sont inférieurs, par la forme, à ceux de l’antiquité, ils en ont du moins conservé le principe, lequel, vivifié par une civilisation nouvelle, produira dans la suite des temps des développemens inespérés. Si c’était ici le lieu d’examiner quel était le caractère de la musique chez les Grecs et par quelles propriétés elle différait de la musique européenne, nous pourrions dire qu’il est à peu près certain que les compatriotes de Phidias, d’Apelle et de Sophocle ne connaissaient pas l’harmonie telle qu’elle s’est constituée chez nous depuis le XVIe siècle. La division de leur échelle et la diversité de leurs modes, qui n’étaient pas sans présenter un grande analogie avec les différens dialectes qui modifiaient la trame de la langue nationale, nous donnent Heu de croire que la musique des Grecs était à la musique moderne ce que le plain-chant d’avant le XVIe siècle est à la musique figurée et idéale, une forme primitive qui n’admettait qu’un petit nombre d’accens et de couleurs. Mêlée à la poésie dont elle était un élément secondaire, elle en subissait les lois et servait de véhicule à la parole sans en dépasser beaucoup la sonorité. Non-seulement les Grecs ne faisaient parcourir à la voix humaine qu’un petit nombre de degrés, une quinte par exemple, prise dans la partie moyenne de l’échelle, mais ils voulaient encore que le chanteur restât dans les limites d’une sonorité modérée. Dans le dixième livre de ses Confessions, saint Augustin rapporte que saint Anastase faisait chanter les psaumes dans son église d’une voix si modérée, que le chant qui en résultait était plus voisin de la parole que de la musique ; qui tam modico flexu cocis faciebat sonare lectorem psalmi, ut pronuntianti vicinior esset, quam canenti. Saint Isidore confirme le même fait en disant que c’était la coutume générale de l’église primitive de chanter d’une voix qui ne s’élevait guère au-dessus de la sonorité de la parole. Tel a dû être aussi le caractère de la mélopée grecque, qui a donné heu à tant de divagations.

Si nous sommes entré dans ces détails historiques sur l’idée qu’on peut se faire du rôle que la musique a joué dans la tragédie grecque, c’est pour en finir une bonne fois avec ces prétendues imitations de l’antique, qui n’ont jamais produit que des pastiches sans originalité. La musique moderne est un art émancipé, qui vit de sa propre vie, et qui ressemble fort peu à ce qu’on appelle la mélopée grecque, dont la restauration, si elle était possible, nous ramènerait à l’enfance de l’art. Que le Théâtre-Français reste donc dans son domaine et que l’Opéra reste dans le sien. Ce sont deux manifestations très différentes de l’art, dont la confusion ne pourrait que nous appauvrir. Lorsque Racine, au déclin de sa carrière, fit Esther et Athalie, les chœurs, trop nombreux, qui interviennent dans ces deux chefs-d’œuvre y sont du moins amenés avec un art suprême qui n’altère point les proportions de l’ensemble, et laisse à la poésie son libre développement. Les chœurs, mis en musique par un compositeur obscur de l’époque, Jean-Baptiste Moreau, et dont