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spectateur plus de tension d’esprit que d’émotion. Dans la décadence du théâtre grec, les tragédies qu’on jouait à la cour des Ptolémées ressemblaient beaucoup aux drames modernes, elles étaient remplies également de curiosités historiques qui faisaient les délices des nombreux érudits qui remplissaient la grande ville d’Alexandrie. Eschyle, Sophocle et Euripide étaient plus simples et plus naïfs que leurs doctes successeurs : ils leur ont survécu, tandis que le temps n’a pas daigné respecter les œuvres éphémères des poètes alexandrins.

L’alliance de la poésie et de la musique remonte aux premiers jours de l’esprit humain : c’est le caractère propre à l’enfance de tous les arts de se produire ensemble dans une manifestation confuse de la vie, comme on peut l’observer chaque jour dans le petit enfant qui gesticule, tressaille et balbutie des mots inarticulés, enveloppés d’une sonorité presque musicale. Plus tard, lorsque les organes auront pris de la consistance, la sensibilité, condensée d’abord dans une source unique et troublée, se distribuera dans différens canaux d’où naîtront les nuances fondamentales de l’esprit et du sentiment, de la réflexion et de la spontanéité. Telle est également l’origine des beaux-arts, particulièrement celle de la poésie, de la musique et de la danse, que les Grecs primitifs ont confondues sous la dénomination commune de choristique. De ce mélange confus de danse, de mimique, de poésie et de musique, sont nées plus tard la tragédie et la comédie, auxquelles se mêlaient encore, dans de moindres proportions, la danse et la musique comme des restes du chœur dionysiaque, qui avait été la seconde manifestation de l’instinct dramatique, car il n’est pas inutile de rappeler encore une fois que le chœur, qui jouait dans la tragédie grecque un rôle abstrait et symbolique, n’avait rien de commun avec ce qu’on a essayé dans les temps modernes. C’était un écho de la conscience publique qui intervenait dans les grandes péripéties, soit pour blâmer une action impie, soit pour célébrer et soutenir une vertu méconnue. Le chœur de la tragédie grecque, en un mot, était un débris de l’enfance de l’art ; il reproduisait, au milieu d’une civilisation déjà avancée, le souffle lyrique de la poésie primitive. « Dans l’origine, remarque Lucien, les mêmes personnes chantaient et dansaient en même temps ; mais, comme on s’aperçut que l’agitation de la danse gênait la respiration, on jugea plus à propos de faire chanter les uns et danser les autres. » Cette explication singulière ne fait pas honneur à la perspicacité du philosophe grec. Si Lucien eut pénétré plus avant dans la nature des choses, il aurait vu que la séparation de la danse, du chant, du récit et de la gesticulation, qui formaient à l’origine un tout confus, était le résultat inévitable du progrès de l’esprit humain, qui va d’abord du complexe au simple pour revenir plus tard à l’unité savante.

La question de savoir quelle part avait la musique dans la tragédie grecque et de quelle nature était cette musique est l’une des questions les plus controversées qui existent. Les érudits de la fin du XVIe siècle, en cherchant la solution de cette énigme de l’histoire, ont trouvé une forme presque nouvelle de l’art, l’opéra, qui est né à Florence vers 1590. Nous disons que l’opéra est une forme presque nouvelle de l’art dramatique, car, indépendamment de l’église, qui avait conservé dans son sanctuaire l’usage de mêler le chant à son drame mystique, mélange de récitatif, de mélodies et de déclamation, il