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Penthée. Pourquoi cette étourderie n’est-elle pas la seule que j’aie à relever ? Ulysse, rappelant à Pénélope la forme du lit nuptial, parle d’un olivier qu’il a taillé avec l’équerre. Ulysse était sans doute un habile homme, un rusé compagnon ; mais, s’il n’avait eu que l’équerre pour tailler l’olivier, il aurait eu grand’peine à construire le lit nuptial. Est-ce que par hasard l’auteur aurait cru que l’équerre sert à équarrir ? Je n’ose l’affirmer, et pourtant c’est la seule manière d’expliquer le langage d’Ulysse ; je dis expliquer et non pas justifier. Minerve, à son tour, ne parle pas toujours comme la déesse de la sagesse et se permet parfois d’étranges expressions. Quand elle se prépare à changer les traits d’Ulysse, elle lui annonce qu’elle va détacher ses cheveux de son front chauve. Il serait difficile de pousser plus loin la naïveté : dépouiller un front chauve, la belle merveille ! pour opérer un tel prodige, l’intervention de Minerve n’est pas nécessaire : c’est une œuvre aussi difficile que d’enfoncer une porte ouverte ou de brûler une maison réduite en cendres.

Je regrette d’avoir à parler si sévèrement d’un homme qui a plus d’une fois montré un véritable talent ; mais il y a si loin de Lucrèce et de Charlotte Corday à la tragédie d’Ulysse, qu’il m’est impossible de tenir un autre langage. Si Lucrèce n’avait pas la grandeur et l’austérité que nous trouvons dans le récit de Tite-Live, elle nous intéressait du moins par l’expression de ses sentimens ; si les personnages groupés autour de Charlotte Corday composaient plutôt une suite de tableaux qu’une action dramatique, du moins ils étaient étudiés et rendus avec soin. L’auteur avait sondé l’ame de Marat, de Danton et de Robespierre, et la scène du triumvirat nous reportait aux meilleurs temps de notre poésie. Dans la tragédie d’Ulysse, je ne trouve rien de pareil. L’auteur nous offre quelques miettes d’Homère, et croit qu’à l’ombre de ce grand nom il peut défier la raillerie et l’indifférence. Qui oserait blâmer cette tragédie ? Qui oserait la déclarer ennuyeuse, inanimée ? Ne serait-ce pas s’exposer au reproche d’ignorance ? Si telle a été la pensée de M. Ponsard, je dois lui dire qu’il s’est lourdement trompé. Ceux qui ne connaissent pas l’antiquité n’ont vu dans sa tragédie qu’une série de conversations sans intérêt et sans but, un assemblage de scènes cousues au hasard. Quant à ceux qui connaissent l’antiquité, leur ennui s’est bientôt changé en dépit, car il n’est pas permis de toucher à Homère pour le traiter avec un tel sans-façon. Il n’est pas permis de mettre en scène Pénélope, c’est-à-dire le type de la fidélité, de la chasteté, pour la réduire aux proportions d’un personnage vulgaire, en mêlant aux pensées les plus hautes des lieux communs qui depuis long-temps ont lassé toutes les oreilles. Si Homère est le plus divin des poètes, la prétendue tragédie de M. Ponsard est tout simplement une impiété.


GUSTAVE PLANCHE.


REVUE MUSICALE.

Le Théâtre-Français vient de faire une tentative qui n’aura pas de suites fâcheuses, grâce à la vigilance du public, qui a conservé dans ce vieux sanctuaire de l’esprit national une partie de son initiative bienfaisante. Une tragédie de M. Ponsard, Ulysse, accompagnée de chœurs de la composition de M. Gounod, n’a pas eu le succès qu’on s’en promettait. C’est le spectacle des passions humaines à travers les mœurs et les idées contemporaines qu’on va chercher au théâtre, et non pas des commentaires historiques qui exigent du