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dernières années. Il avait déclaré le parlement d’Angleterre atteint d’une langueur qui pourrait être mortelle; on a beaucoup ri à cette époque, et pourtant que disait récemment encore le Times? que disait au sein de ce parlement lui-même sir James Graham, un homme compétent en matière parlementaire, pas plus tard que la semaine passée? Il avait déclaré que le gouvernement de la Grande-Bretagne allait, si l’on n’y mettait ordre, cesser bientôt de fonctionner, que la tradition politique avait besoin d’être abandonnée, parce qu’elle devenait la routine, et qu’il était urgent qu’il apparût un véritable réformateur. Est-ce que ce qui se passe depuis un an en Angleterre n’a pas dessillé tous les yeux? est-ce que la nécessité d’un grand homme d’état novateur ne se fait pas sentir de plus en plus? Les événemens qui se sont produits en Europe depuis le 2 décembre ont donné pleinement raison à Carlyle, et quant à sa théorie industrielle dont on a tant plaisanté, à ses capitaines du travail, à sa réglementation militaire de l’industrie, je ne voudrais point parier que cette idée n’ait pas germé dans d’autres têtes que la sienne.

Depuis de nombreuses années déjà, M. Carlyle vit à Chelsea. Tous les visiteurs s’accordent à le représenter comme un homme excellent, plein d’humour et d’éloquence dans la conversation, satirique sans être aucunement frondeur, un peu agressif, mais toujours sous l’empire d’un sentiment noble et l’impression de dépit que fait sur lui une idée fausse ou légère. Il aime peu, je le crois, la contradiction, et estime encore moins les gens avec lesquels il ne se trouve aucun point de ressemblance. Grand ennemi du sentimentalisme, contre lequel il gronde, il n’en est pas moins affable et généreux envers tout malheur véritable, que ce soit le malheur d’un roi ou d’un mendiant. Les véritables malheurs de la vie, les chagrins infinis, comme il le dit lui-même, n’ont pas trouvé d’interprète plus ému, et un homme qui a peu de traits communs avec lui, et qui aime autant la sentimentalité et le dilettantisme que Carlyle les déteste, lui a rendu ce témoignage, — que toutes les fois qu’un infortuné s’était adressé à lui, les consolations et les secours n’avaient jamais été en retard.

J’arrive au dernier ouvrage de Carlyle, la Vie de John Sterling. Qu’était-ce que John Sterling? Un littérateur ami de Carlyle, mort avant l’âge, emporté par une maladie de poitrine; un des fondateurs du journal littéraire bien connu sous le nom d’Athenœum, homme de talent, intelligence vive et douce, cœur excellent. Sterling n’a pas laissé une grande réputation : il est au nombre de ces travailleurs laborieux et dévoués qui, tout en contribuant par leurs écrits à modifier l’esprit de leur temps et à façonner l’opinion publique, n’atteignent jamais pourtant à une grande renommée, faute d’avoir pu élever un monument littéraire d’abord, et ensuite faute de pouvoir