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admirables essais sur la littérature allemande publiés dans la Revue d’Edimbourg et dans le Foreign Review. Il y a dans ces articles tout un premier Carlyle, jeune, laborieux, plein de hardiesse, mais d’un calme qu’il perdra tout à l’heure, apportant dans ses compositions un soin dont il s’est moins soucié depuis. Le feu volcanique, les flammes et les laves qui vont bientôt s’échapper de toutes parts couinent cachés sous la terre, et leur chaleur communique à ces pages une beauté sombre et un peu morne. Il y a, entre l’essai sur Jean-Paul Richter et les traits les plus éloquens du Sartor resartus et de tous les livres composés à partir de celui-là, la même différence qu’entre une campagne italienne et une terre étouffante des tropiques. La sympathie de la jeunesse éclaire ces premiers écrits; de belles pensées dans toute leur fraîcheur, et qui viennent à peine de germer dans l’esprit, s’y ouvrent, enveloppées dans de riches images; tout y est bien ordonné, méthodiquement placé. A partir du Sartor resartus et de sa collaboration au Fraser’s Magazine, tout change, et alors commence sa seconde manière, dont l’expression la plus éclatante est l’Histoire de la Révolution française. Dans tous les écrits de cette période se répand une même couleur noire et effroyable; sur un fond orageux des éclairs lancent leurs jets rapides et lumineux, la foudre gronde et éclate; toutes les puissances infernales crient et hurlent, emportées sur l’aile des vents rapides et des tourbillons des tempêtes. Mais de temps à autre aussi un nuage se déchire et laisse voir une petite étoile souriante sur un ciel d’un azur parfait, et, pendant que l’orage passe sur nos têtes et nous effraie, nous nous sentons rafraîchis par un air pur et doux, qui semble nous dire que toutes ces forces déchaînées de la nature ne doivent pas nous effrayer, et que le calme renaîtra. Rien n’égale la puissance des descriptions de Carlyle : les images, chez lui, se reflètent mieux que dans une chambre noire; les personnages ensevelis reprennent leurs grimaces et leurs rides; ils gambadent, courent et vivent comme par le passé. Qui a connu une fois son Cagliostro, son cardinal de Rohan, son Barrère, son Robespierre, son Danton, ne peut plus les oublier. Ses récits de la terreur sont les plus beaux que l’on ait tracés de cette sombre époque; toute l’ame de cette période révolutionnaire a passé dans ces pages; l’écho des phrases vous renvoie les refrains de la Marseillaise et de l’horrible Carmagnole. Le récit des trois mois qui s’écoulent de septembre à décembre 93, et pendant lesquels la guillotine fit sa plus riche moisson de têtes illustres dans tous les partis, laisse une impression d’effroi qui glace et arrête le sang dans le cœur comme une peur soudaine et frappe d’immobilité comme les regards du basilic. Philippe d’Orléans ouvre la marche des suppliciés, que suivent Barnave, Marie-Antoinette, les trente-deux girondins, Mme Roland, et tout un cortège de victimes nobles et jeunes qui