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bon ordre : les flanqueurs, repliés par petits groupes dans le convoi, l’auraient protégé au besoin contre les embuscades; mais, si le proverbe dit que le soleil luit pour tout le monde, amis et ennemis se valent par le froid et le brouillard : tous sont également engourdis. La colonne ne fut pas attaquée. Continuant avec cette résignation patiente que donnent l’habitude de la souffrance et la confiance dans le chef, elle arriva sans encombre au centre de beaux villages kabyles que leurs habitans, les Larmounas-Baharis, avaient abandonnés. Là le lieutenant-colonel jugea prudent de s’arrêter; la tempête, loin de diminuer, semblait augmenter encore. A peine les faisceaux formés, les soldats coururent aux maisons, enlevant aux toitures ces longues perches de bois bien sec qui font de si belles flammes. On les entassa en pyramides immenses, et pendant dix-huit heures, tant que l’ouragan dura, les feux furent soigneusement entretenus. Une autre bonne fortune leur était réservée: les Kabyles avaient laissé les provisions au logis; des repas copieux aidèrent nos soldats à supporter le froid et la pluie. Enfin l’on put se remettre en mouvement et reprendre cette course au clocher qui ramenait peu à peu les populations sous notre autorité.

Le 20, les troupes rentraient à Tenez pour remplacer les souliers usés, réparer les capotes mises en pièces par les buissons; mais le repos fut court. Le 21, le colonel de Saint-Arnaud, commandant la subdivision, modifiait la composition de la colonne, remplaçant les zouaves par le 1er bataillon du 36e de ligne, et prescrivait au lieutenant-colonel Canrobert de se montrer à l’ouest du cercle pour y châtier quelques tribus encore rebelles et balancer l’influence du chérif Bou-Maza. La petite colonne se dirigea vers le plateau de Tadjena, une des positions stratégiques du Dahra. De ce point élevé, une troupe peut se porter dans trois directions différentes, frappant également les gens du Chéliff et ceux du bord de la mer. L’eau était bonne, le bois abondant, la nourriture des chevaux facile; c’était un bon repaire pour attendre l’occasion favorable, qui ne devait pas tarder.

Les espions annoncèrent que le Bou-Maza se trouvait chez les Mediounas, occupé à réunir du monde, et que la fraction des Sbéahs dite Mchaias s’occupait de ses labours : confiante dans son éloignement de Tenez et d’Orléansville, elle négligeait de se garder. A neuf heures du soir, le lieutenant-colonel recevait ces renseignemens; à onze heures et demie, les hommes, réveillés au milieu de leur sommeil, prenaient les armes. Cinq cents fantassins d’élite sans sac, la cavalerie, le goum[1], composaient la petite colonne qui devait tomber au point du jour sur les récalcitrans. On avançait dans le plus grand ordre, dans le plus

  1. Cavaliers irréguliers arabes.