Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peu près tous. On assure que ce compositeur, dont s’est affolée l’Italie contemporaine, a essayé depuis quelques années, de modifier sa manière, et que, dans ses deniers ouvrages, il est moins bruyant, plus varié et qu’il respecte davantage la délicatesse de la voix humaine. Nous serons bientôt mis à même d’apprécier l’importance de cette réforme, puisque M. Verdi compose un ouvrage en cinq actes pour l’Opéra de Paris. Quoi qu’il en soit, la reprise de Jérusalem, mutilée et appauvrie dans les détails les plus importans de la mise en scène, a présenté un spectacle peu digne de l’Opéra. Mlle Poinsot a chanté le rôle d’Hélène comme elle chante tout ce qui lui est confié, d’une voix fausse et pointue et avec un goût à l’avenant. Le seul intérêt qu’ait offert cette représentation, c’est M. Chapuis, un jeune élève du Conservatoire dont la belle voix de ténor, peu étendue dans le registre supérieur, commence à s’assouplir, il a fort bien dit la très jolie romance du second acte.

Agirons-nous un Théâtre-Italien cet hiver à Paris ? La question est encore douteuse. On assure cependant que M. Lumley, qui est toujours en possession du privilège, loin d’abandonner la partie, tient plus que jamais à divertir les Parisiens avec de la musique prétendue italienne, chantée par des Anglais et accompagnée par des Allemands. Il y a tout lieu de croire que l’administration supérieure s’empressera de seconder de si louables efforts. En attendant la solutions de cette haute difficulté administrative, nous avons, pour nous consoler, un troisième théâtre lyrique qui vient de faire sa réouverture par un opéra en trois actes de M. Ad. Adam, intitulé : Si j’étais roi ! N y a-t-il pas lieu de se demander tout d’abord si le troisième théâtre lyrique, dont l’origine ne se perd pas dans la nuit des temps, a été institué pour le plus grand avantage des membres de l’Institut, pour les compositeurs déjà connus et même trop connus ? De quoi se plaint-on depuis un temps immémorial Que les jeunes compositeurs français, après avoir consacré les plus belles années de la vie à étudier un art très difficile, après avoir été couronnés de lauriers par l’Institut et fait le grand voyage de la ville éternelle, reviennent à Paris se morfondre dans l’antichambre de MM. les directeurs de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, où ils passent leur jeunesse à attendre un mauvais poème. Ce poème obtenu enfin, ils se hâtent de le mettre en musique avec fureur, avec rage, avec une passion et une verve d’autant plus vives qu’elles ont été plus long-temps comprimées, et, à propos de je ne sais plus quelle histoire de garde champêtre, ils développent le style grandiose, qui conviendrait à un drame héroïque, bien heureux encore quand ils arrivent à ce résultat et qu’ils peuvent se dire dans leur vieillesse, au fond d’une boutique ou dans les bureaux d’une administration : J’ai entendu chanter ma musique une fois dans ma vie ! car la statistique nous apprend que, sur dix grands prix de Rome, il y en a, au moins huit qui se vouent au silence sans pouvoir dire quelle était la voix de leur muse. C’est pour remédier à une partie de ces inconvéniens qu’on a eu la pensée de créer à Paris un troisième théâtre où les jeunes compositeurs, pourraient s’essayer avant d’aborder l’une des deux grandes scènes destinées aux musiciens qui ont fait leurs preuves. Or, si telle est la destination du théâtre qui prend le titre de national, on a eu tort, ce nous semble, de l’inaugurer par un opéra en trois actes de M. Adolphe Adam, qui n’a nullement besoin de se faire connaître.