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quand il vit tous les dangers que son ami allait courir. Entre camarades, on a l’ame bonne. Il en appelle deux, tous se mettent à l’œuvre. Le bourriquot est déchargé, le poids réparti sur leurs épaules, et Isly triomphant arrive sur l’autre rive.

Durant toute cette pénible opération, la gaieté de nos soldats était inépuisable : quolibets et moqueries ne manquaient pas aux maladroits; chacun, avant gagné la terre ferme, se secouait comme un caniche qui a pris un bain, et n’y songeait plus. Le général de Bourjolly, à cheval au milieu de l’eau, soutenait de ses paroles et de son commandement ses soldats. Il ne se retira que lorsqu’il eut vu M. de Berckheim replier la cinquenelle et les artilleurs reprendre leur rang dans la colonne.

Nous venions de recevoir les dernières pluies. Le surlendemain, le temps s’était remis au beau, et quinze jours après nous avions achevé les opérations dans la partie du Dahra qui dépendait de la subdivision de Mostaganem. Appelé par d’autres affaires, le général de Bourjolly marcha vers le sud, vers les limites du Tell et du Serrsous. Le territoire d’Orléansville restait en pleine agitation sous l’impulsion de l’insaisissable Bou-Maza, Orléansville même avait été attaqué. Enfin, après trois mois d’une course au clocher qui ne lui laissa ni trêve ni repos, au commencement de juillet, lorsque la colonne de Mostaganem, retournant prendre un repos bien mérité, renforçait, en prévision des éventualités futures, la garnison du poste d’observation du Khamis des Beni-Ouragh, dans les montagnes situées sur l’autre rive du Chéliff, la révolte semblait comprimée dans toute l’étendue de la subdivision. Il n’en était rien pourtant. Cette sourde inquiétude qui minait alors nos possessions d’Afrique, et qui s’était fait jour par des éruptions prématurées, allait éclater bientôt de l’ouest à l’est comme un ouragan de feu.

Deux mois plus tard, vers la mi-septembre, les douze cents hommes de Mostaganem avaient à supporter dans les bois des Flittas l’effort du pays tout entier essayant de secouer le joug. Nous apprenions en même temps le massacre de nos frères d’armes à ce marabout de Sidi-Brahim. dont nul n’oubliera jamais le nom de funèbre mémoire. La colonne d’Orléansville vint alors nous prêter son appui; mais le colonel de Saint-Arnaud dut bientôt retourner dans sa subdivision, sérieusement menacée. Le maréchal Bugeaud, voulant à cette époque rendre plus mobiles les troupes d’Orléansville et leur faire prendre part à ses opérations de l’Ouar-Senis, donna l’ordre à M. Canrobert, devenu lieutenant-colonel, de prendre le commandement de la ville de Tenez, et forma une colonne de douze cents hommes, avec laquelle le lieutenant-colonel devait maintenir toujours libres les communications entre les deux villes et mater toute cette partie montagneuse et difficile du Dahra, qui n’avait pas été la dernière, comme bien on le pense, à