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dogme par la protection constante dont elle a entouré l’étude des lettres antiques ! Il y a mieux : l’auteur du Ver rongeur n’a pas l’air de se douter qu’il défend une thèse soutenue par le protestantisme à sa naissance. Le protestantisme, lui, a commencé par condamner le culte de l’antiquité, tandis que l’église catholique l’entretenait et le propageait, ce dont il faut lui faire honneur, comme de tout ce qu’elle a fait dans l’intérêt des lettres et du progrès intellectuel. Au fond, qu’on nous permette d’ailleurs une dernière observation : plus nous suivons cette discussion, plus elle nous paraît changer de face. La plume la plus habile au service de cette cause ne nous semble guère s’employer qu’à couvrir avec talent une retraite véritable. Il ne s’agit plus aujourd’hui de supprimer l’étude des classiques anciens. Qui donc, ajoute-t-on, a pu avoir cette pensée ? — Qui, demanderez-vous ? Mais c’est l’inaugurateur même de ces polémiques, M. l’abbé Gaume. Ses livres n’ont point de sens, ou ils ont cette signification. S’agissait-il de dire simplement, comme tout le monde, qu’une pensée morale, chrétienne, doit être le ressort de l’éducation publique ? En vérité, nous demanderions alors à quoi bon tant de bruit et tant d’éloquence pour démontrer la supériorité du latin du moyen-âge sur le latin de Virgile et de Cicéron ?

De ces étranges polémiques, il faut bien cependant qu’il résulte quelques enseignemens. Le premier de tous, à coup sûr, c’est le danger des thèses absolues quand il s’agit de résoudre des questions d’une nature si complexe. Le second, c’est que malgré tout, sans qu’on puisse l’imputer à l’étude des auteurs anciens plus qu’à autre chose, il existe un mal réel auquel il faut trouver le remède. Il règne depuis longues années une véritable débilitation morale qui est allée en croissant et s’est manifestée sous des traits particulièrement saisissans dans la jeunesse. — Ce mal de la jeunesse contemporaine, voulez-vous le voir décrit d’une plume vive, spirituelle et mordante ? Lisez un morceau écrit par M. Töpffer en 1834, sous le titre des Adolescens de notre époque envisagés comme gros d’avenir. M. Töpffer peint les faiblesses, les impuissances, les ambitions, les ridicules de ces générations hâtives ; ces générations, il les représente sous la forme d’un jeune arbre frêle et maladif, qui croit dans un terrain desséché, où il y avait autrefois des eaux vives et où il n’y en a plus. Ces eaux vives, c’étaient les croyances, les principes, les opinions traditionnelles, les sentimens généreux et enthousiastes. Quel sera le moyen de faire de nouveau jaillir cette source tarie ? Étrange idée de prétendre le trouver dans la suppression de l’enseignement d’Homère ou de Virgile ! Dans ce volume de Mélanges qui vient de paraître et où est ce fragment des Adolescens de notre époque, il y a quelques autres chapitres pleins d’ironie humoristique, de vérité et de paradoxe : par exemple, les fragmens sur le progrès dans ses rapports avec le petit bourgeois et avec les maîtres d’école, sur le moine Planude et la mauvaise presse considérée comme excellente, sur Joseph Homo et quelques fabricans de drames modernes. Mais par quelle bizarrerie ce volume va-t-il finir par des pensées de sectaire et des boutades contre la théologie où se fait sentir l’humeur protestante ? En pleines pages humoristiques, nous retrouvons quelque chose des querelles de Bossuet et de Jurieu. Et, à vrai dire, serait-il bien utile, même sous une forme sérieuse, de réveiller ces querelles ?

Il n’y a qu’un moyen de rendre à ces controverses religieuses leur intérêt :