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nouvelle dans une portion de la France. Il va parcourir le midi, de Lyon et de Marseille à Bordeaux. Le voyage du prince Louis-Napoléon n’est point sans doute totalement étranger à cette question de stabilité dont nous parlions, et qui, à vrai dire, domine toutes les autres. En dehors de cette question, où donc est la politique pour le moment ? Elle est partout et nulle part. Ce n’est point dans les luttes oratoires, dans l’antagonisme des partis, dans le choc des opinions, dans les polémiques de la presse, qu’il faut l’aller chercher ; elle est tout entière dans l’action journalière du gouvernement, dans les mesures administratives, dans les questions d’industrie, de commerce ou de finances, en un mot dans ces mille détails qui touchent au mouvement pratique, et qui reprennent le premier rang dans le silence des discussions générales et abstraites. Où est la politique aujourd’hui ? Elle est dans l’inauguration de la banque de crédit foncier, qui vient de commencer ses opérations en se constituant définitivement à Paris, et dans la concession récente d’un privilège pour la construction d’un palais des beaux-arts et de l’industrie dans le grand carré des Champs-Elysées : palais destiné aux expositions annuelles, à toutes les fêtes civiles et militaires, aux spectacles grandioses qu’il plaira à l’imagination parisienne d’enfanter. La politique est dans l’institution d’un mont-de-piété à Alger, — secourable et triste bienfait de la civilisation ! — et dans l’étude, prescrite par le ministre de la police, des moyens les plus propres pour détruire les bandits de la Corse, pour vaincre ce fléau du vagabondage criminel et meurtrier par le travail, par une sorte de, prise de possession nouvelle du sol. Elle est encore et surtout dans les vœux contradictoires de divers conseils-généraux demandant, ceux-ci la liberté du commerce, ceux-là le maintien de la protection commerciale, ce qui est tout simple, chaque département commençant par consulter ses intérêts. Voulons-nous aller plus loin et étendre le regard hors de ce cercle officiel ? La politique est peut-être aussi dans le discours prononcé un de ces derniers jours par M. Dupin devant le comice agricole de Clamecy. S’il ne parle plus en président de l’assemblée nationale ou en chef de parquet de la cour de cassation, M. Dupin n’en resta pas moins un des types très originaux de notre temps, — type de bon sens net et pratique, aussi peu quintessencié que possible, et qui aime à s’aller retremper tous les ans dans les campagnes du Nivernais. M. Dupin a, dans son genre, quelque chose du langage familier de l’illustre maréchal Bugeaud ; il rappelle aux populations qui l’écoutent leurs traditions de probité comme le meilleur antidote contre les séductions révolutionnaires ; il atteint à une véritable éloquence quand il peint ces populations, au lendemain de la grêle, allant demander des prières à leur pasteur, comme si elles se sentaient coupables et justement frappées. M. Dupin plaide aussi pour les bois du Morvan, menacés de dépréciation par l’invasion des houilles belges, et voici la question de la liberté commerciale et de la protection qui trouve ici sa place encore. C’est ainsi que peut s’animer utilement la séance d’un simple comice agricole. On ne sait point assez quelle heureuse influence pourraient exercer ces réunions libres et locales. Ce qui manque malheureusement en France, c’est l’instinct de l’association appliquée aux choses pratiques ; c’est ce qui fait que la vie politique est si instable et si peu sûre ; elle n’a point de racines dans la réalité ; elle ne s’appuie pas sur des intérêts volontairement groupés, accoutumés