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brise les Kabyles et rejoint les renforts à mi-côte. Tous réunis retournent chercher les morts et les blessés; on se replia sur le camp, et un dernier mouvement offensif du capitaine Esmieu de Cargouet termina la lutte. Dans la mêlée, deux blessés avaient été enlevés par l’ennemi. Lorsque la nuit fut venue, les avant-postes du camp de Bal virent les Kabyles allumer un grand feu sur un piton, à l’abri de nos balles; la flamme rougeâtre des pins éclairait ces figures sinistres. Le tam-tam, frappé à coups redoublés, semblait leur donner le vertige. Les soldats regardaient sans comprendre; bientôt ils eurent l’explication de cette joie féroce. Les cadavres de leurs malheureux camarades furent apportés. Au milieu des hurlemens, ils furent piétines, profanés, outrageusement mutilés, puis les deux corps furent saisis et jetés dans le brasier. — La chair humaine est lente à brûler, elle roussit d’abord, la tête seule prend feu, et des yeux sortent des jets de gaz enflammés. Ce hideux spectacle avait rempli les soldats de fureur, tous s’étaient promis de ne point faire quartier quand l’occasion se présenterait. N’en déplaise aux philanthropes, qui, dans un bon fauteuil, au coin d’un bon feu, à l’abri du froid, de la pluie et du danger, font de belles phrases sur l’humanité, ils avaient grand’raison. Volontiers on joue sa vie, le soldat sait qu’il porte une livrée de mort qui lui vaut l’honneur au jour du repos; mais la rage lui viendra toujours à la pensée de la mutilation.

Pendant que nos camarades d’Orléansville nous racontaient ces épisodes du début de la course, les deux chefs avaient terminé leur conférence. Le général de Bourjolly et le colonel de Saint-Arnaud étaient convenus d’une opération pour la nuit même. En arrivant au camp, l’état-major donna les ordres; mais le soir, au moment de nous mettre en mouvement, un courrier arabe apporta au général des dépêches qui lui apprenaient qu’une puissante tribu kabyle, les Beni-Hidja, dont le territoire est proche de Tenez, entraînée par son caïd Mohamed-ben-Hini, homme fanatique et d’une grande énergie, avait attaqué un petit camp établi dans une vallée voisine de la ville. La route qui relie Tenez à Orléansville se trouvait coupée; des Beni-Hidja, l’insurrection pouvait s’étendre à l’ouest, gagner les Beni-Menacers et la Mitidja même, si l’on n’appliquait promptement le remède nécessaire. Le colonel de Saint-Arnaud, en prévenant le général de Bourjolly de ces événemens. lui annonçait qu’obligé de se porter en toute hâte dans la direction de Tenez, il ne pouvait exécuter le mouvement convenu pour la nuit.

Aussitôt les dépêches reçues, le contre-ordre fut donné, et le général modifia son plan d’opérations. — Nous allions nous borner à maintenir l’ordre parmi les tribus du Dahra comprises dans la subdivision de Mostaganem. Huit jours après, notre colonne se trouvait encore au même bivouac, sur les bords de l’Oued Khamis; attendant, dans ces