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quand on rapproche les témoignages historiques relatifs aux divers peuples dont nous venons de parler, et surtout lorsque l’on compare les trop rares monumens qu’ils nous ont légués. Ainsi, au temps de Strabon, les Maures comme les Mèdes, leurs aïeux directs suivant ce géographe, se frisaient les cheveux et la barbe et portaient des ornemens d’or ; à la guerre, ils se servaient de chars armés de faux, comme les Mèdes ; les monnaies de leurs rois Bocchus et Juba rappellent exactement les monnaies et les pierres gravées des Persans au temps des Sassanides, et elles offrent l’image du mihir, globe ailé, si commun sur les monumens de la Perse et de la Médie et les ruines de Persépolis. L’analogie est complète, irrécusable ; cette origine asiatique des Maures et des Numides a toujours passé pour constante chez les Grecs et les Romains, et s’il est aujourd’hui fort difficile d’en établir la filiation, il y a cependant là un de ces faits qui, pour rester inexpliqués, n’en paraissent pas moins très probables, et, qui excitent, par la distance même des siècles, cette vive curiosité qui s’attache, dans l’histoire comme dans la philosophie, au mystère et à l’inconnu. Si la vieille civilisation de l’Asie était couverte de ténèbres moins profondes, qui sait ? on retrouverait peut-être encore, dans la constitution actuelle des tribus, quelques traces de leur ancienne organisation, et c’est par cela même que cette constitution offre un intérêt particulier, parce qu’on sent là quelque chose de primitif et d’antique.

Aujourd’hui, le premier élément de l’agrégation sociale des Arabes, c’est le douar, réunion de tentes rangées en cercle ; plusieurs douars juxtaposés forment une ferka ; plusieurs ferkas composent une tribu ; les tribus, en se groupant, constituent un grand kaida ou aghalik ; enfin plusieurs aghaliks peuvent former un kalifa. La ferka obéit à un cheikh, qui remplit des fonctions à peu près analogues à celles des maires dans les communes françaises. La tribu est commandée par un kaïd, agent responsable de l’autorité française, qui perçoit l’impôt, exerce la police intérieure et réunit les contingens indigènes ; puis viennent les aghas, chefs des kaïds d’une réunion, de tribus, et au sommet de la hiérarchie les kalifas, qui exercent une autorité politique et administrative, et qui disposent pour maintenir la tranquillité d’une troupe indigène soldée par la France. À côté du kaïd, il y a de plus, dans chaque tribu, un kadi qui rend la justice d’après la législation arabe et qui remplit en même temps les fonctions de notaire. Ces divers agens, qui reçoivent tous l’investiture de l’autorité française, touchent un traitement qui varie de 1,800 fr. à 12,000 fr. Malheureusement les habitudes de vénalité de la justice et de l’administration, des Turcs ont laissé des traces qui ne sont point encore effacées, et parmi les chefs de tribu il en est qui cèdent volontiers à l’entraînement de cette tradition ; mais les bureaux arabes, véritables intermédiaires entre la France et les indigènes, ont une connaissance si grande des mœurs du pays et de l’influence funeste exercée par la domination des Turcs, que tout garantit une ; surveillance active et sévère dans cette partie si importante de l’administration algérienne, et que tous les efforts sont faits dans l’intérêt, de notre autorité et pour l’honneur de notre civilisation, afin de rendre la justice et, l’administration indigènes plus honnêtes et plus sûres. Du reste, en ce qui touche la justice, les Arabes ont déjà compris et jugé entre eux-mêmes et la France, et ils savent aujourd’hui que, pour toutes, les affaires, quelles