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de sa prospérité et de sa gloire, s’apprêtait à fondre sur la Hollande, un jeune homme de vingt ans, à qui la faculté de Leipzig venait de refuser le diplôme de docteur, Leibnitz, effrayé des guerres sans fin qui déchiraient la chrétienté, écrivit, le 1er février 1672, au ministre Pomponne pour le prier de détourner sur l’Afrique les armes victorieuses du grand roi, en désignant l’Égypte comme le plus beau fleuron qu’il pût ajouter à sa couronne. Le projet de l’étudiant allemand fut approuvé et oublié. Napoléon, en exécutant ce qu’avait rêvé Leibnitz, ouvrit, pour ainsi dire, à la France une ère nouvelle. L’Europe, cette fois encore, arracha les vainqueurs à leur colonie naissante ; mais déjà la route était frayée. On savait ce que valait l’Afrique, et trente ans plus tard, quand l’Algérie passa sous notre domination, on devina instinctivement dès l’abord, en dépit des préjugés traditionnels, l’importance de ce nouvel établissement.

Dès les premiers instans de la prise de possession, les livres et les brochures se sont multipliés comme les combats, et, chez nous, c’est toujours d’après le nombre des publications que l’on peut juger de l’importance des choses et de l’intérêt qu’y attache le pays. Depuis 1830 jusqu’à ce jour, c’est la question de colonisation qui domine. Au milieu d’une foule de systèmes plus ou moins praticables, deux grandes théories ont plané constamment au-dessus du débat : l’une qui voulait attribuer à l’état, en lui laissant toutes les charges, la direction suprême de la colonisation ; l’autre qui laissait aux forces individuelles une liberté pleine et entière. En 1837, le maréchal Bugeaud, qui commandait alors la province d’Oran, publia un mémoire pour demander la colonisation militaire : il établissait, comme les Romains, des colonies de vétérans, leur donnait des terres, des femmes qu’il recrutait au besoin dans les maisons de correction, et dans la ferme persuasion qu’il avait trouvé une solution définitive, il essaya de réaliser les projets formulés dans son livre. Cet essai fut un échec ; mais le maréchal avait un esprit trop pratique pour ne point s’incliner devant l’autorité des faits, et, dans les brochures qu’il a publiées depuis, tout en faisant encore, et avec raison, une grande part à l’armée, il a admis sur une large échelle la population civile, et principalement la population agricole, en maintenant néanmoins la direction suprême de l’état. M. le général de Lamoricière, en essayant de concilier, par un moyen terme, les doux théories, souleva une polémique fort vive, mais sans exercer d’influence sur la marche suivie jusqu’à nous. Une revue des nombreux travaux publiés depuis 1830 sur la colonisation de l’Algérie nous mettrait en présence de hautes les utopies contemporaines, côtoyées çà et là par quelques idées pratiques. C’est ainsi par exemple que nous voyons M. Enfantin, dans la Colonisation de l’Algérie, reprendre en sous-œuvre quelques-unes des principales vues du saint-simonisme : il pose en principe que notre politique en Algérie doit avant tout transiger et concilier, 1° en modifiant progressivement et sans violence les institutions, les mœurs, les habitudes des indigènes, 2° en modifiant en même temps celles des colons européens, de manière à faire vivre les uns et les autres en société et à les attacher au sol par le travail et le bien-être. Pour arriver à ce résultat, M. Enfantin organise tout un système social et colonial beaucoup plus compliqué, beaucoup plus dispendieux que celui qu’il voulait renverser, et en définitive, au lieu d’une idée pratique, il