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Nouvelles nouvelles. Alors revinrent les rondeaux lestes, l’obscénité naïve et bouffonne le sentiment matériel qui a été la principale, idée de la vieille poétique amoureuse. Je ne puis rien citer, et ce n’est pas le lieu de montrer les circonstances atténuantes de cette licence ; mais elle est en rapport avec le mépris de la femme, et ce mépris est en rapport avec l’idéal de femme que se faisaient les conteurs. Les femmes ont changé de face selon les siècles ; la rhétorique leur a donné des habits divers, et les sentimens qu’elles provoquaient se sont inspirés de la coupe et de la couleur de ces habits. La femme trouvère est une variété curieuse et la plus vraie peut-être dans cette galerie de femmes peintes par l’histoire littéraire. C’est celle qui est ainsi déshabillée dans cette simple et sanglante satire de Gringore (Les Contredits de Songe-Creux) :

Femme bien est larcin de vie,
Femme est de l’homme doulce mort ;
Femme est venin, crème d’envie,
Femme est d’iniquité le port,
Femme nous perdit paradis ;
Femme est du dyable le support,
Femme est l’enfer des gens maudits.
Femme est l’ennemy de l’amy,
Femme est péché inévitable,
Femme est familier ennemy,
Femme est la beste insatiable.
Femme est sépulchre des humains,
Femme deçoit plus que le dyable,
Et c’est l’erreur vitupérable
Par qui souvent tordons nos mains.

C’est cette femme qu’avait retrouvée Roger Bontemps et qu’il accablera de son indignation dans sa vieillesse. En attendant, il enterre joyeusement toutes les illusions de sa jeunesse sur l’amour désintéressé :

En faict d’amours, beau parler n’a plus lieu,
Car, sans argent, vous parlez en hébrieu.

C’était, en effet, le grand ennemi de son existence, l’argent ; toutes ses coquetteries à la fortune ne purent jamais amener à sa portée le plus petit troupeau des moutons à la grand’laine ; il passa donc toute sa vie à voir fuir de son voisinage tout ce qui portait sac d’écus, bourse pleine et la bougette au joyeux son. Aussi traite-t-il la fortune comme l’amour et se garde-t-il de payer à la pauvreté le tribut de larmes qu’elle réclame de ses serviteurs. Il la raille finement dans son Dialogue des Abusés. Dans un autre dialogue, il se rappelle les bonnes habitudes de Villon, et termine ainsi :

Donc il est temps partir d’icy
Pour aller boyre à Irency
Et engager robe et pourpoint.

C’est avec cette gaieté et ces louables dispositions que Roger sortait de la