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suivions, en quittant Aïn-Tetinguel, un sentier tracé sur la crête des collines qui longent la mer, et, après huit heures de marche, quand nous eûmes descendu une ravine couverte de mélèzes et de plus maritimes, le général de Bourjolly établit le bivouac de l’autre côté d’une rivière, limite des subdivisions d’Orléansville et de Mostaganem, au pied du réseau de montagnes habitées par les Achachas, les Ouled-Youness et les Mediounas, tribus contre lesquelles nous devions opérer. Durant toute cette journée, nous n’avions point aperçu un seul Kabyle. Ces champs bien cultivés, ces vergers en fleurs étaient déserts : les oiseaux seuls n’avaient point abandonné la terre; mais la solitude nous importait peu, et, comme de coutume, la gaieté et l’insouciance nous tenaient compagnie.

Vers midi pourtant, plus d’un fantassin secoua la tête en voyant les gros nuages venus de l’ouest couvrir le ciel; bientôt la pluie tomba en torrens, et, lorsque la trompette de l’état-major sonna la halte, nous étions mouillés jusqu’aux os. Aussitôt la ruche de se mettre à l’œuvre, chacun de courir abattre le bois, dresser les petites tentes, allumer de grands feux, préparer le repas bien gagné; mais l’heure du repos n’était point arrivée pour l’escadron de cavalerie du 4e chasseurs : il fallait encore escorter le général, qui s’en allait au rendez-vous pris avec M. de Saint-Arnaud, à mi-chemin des deux camps. Durant deux heures, nos pauvres chevaux suivirent les sentiers détrempés, gravissant avec peine ces terrains glissans: enfin nous rejoignîmes le colonel de Saint-Arnaud, arrivé le premier au rendez-vous avec son chef d’état-major, le capitaine de Courson, et l’escadron de spahis que le capitaine Fleury venait de former à Orléansville. Pendant que nos chefs conféraient de nos destinées, les escortes se mêlèrent, les poignées de mains et les récits s’échangèrent. Depuis le 14 avril, jour de sa sortie, la colonne d’Orléansville, plus heureuse que celle de Mostaganem, avait déjà eu trois engagemens sérieux. Le 14, c’était avec le Bou-Maza en personne. Dans le pays de Krenouan, le drapeau rouge du chérif avait eu l’audace d’attendre la charge de notre cavalerie : mal lui en prit, car les cadavres des Kabyles jonchèrent la plaine de Gri, et le soir, en rentrant au bivouac, nos cavaliers, alertes encore malgré leur marche de vingt lieues, étaient chargés de dépouilles. Malheureusement le 17 ils avaient eu à regretter la mort d’un brave officier, le lieutenant Béatrix, chef du bureau arabe de Tenez, qui fut écharpé avec quatre de ses marghazenis[1] avant que l’on eût pu arriver à temps pour les dégager.

La conférence durait toujours, elle semblait très animée, et le colonel de Saint-Arnaud, avec son entrain et son mouvement

  1. Cavaliers du marghzen spécialement attachés au service de l’autorité.