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III

Pierre Roffet annonce que maistre Roger de Collerye., « homme très sçavant, » dont il édite les œuvres, est natif de Paris. Comme cette publication eut lieu en 1536, du vivant de l’auteur, on ne voit guère de motifs de révoquer en doute cette assertion. Goujet dit pourtant qu’il est anglais, et il se fonde sur ces vers cités plus haut : « Je suis Bontemps qui, d’Angleterre, etc. ; » mais il ne s’agit ici que d’une allégorie, quoiqu’il paraisse improbable qu’une importation anglaise en pays étranger, en France surtout, ait jamais pu se présenter avec les qualités de Bontemps. Je sais bien, d’autre part, que maistre Roger de Collerye ne se fût pas fait faute de se dire « natif de Paris » pour allécher la nationalité des bourgeois de la cité, et rien ne me force à croire que Pierre Roffet se fût fait scrupule de l’aider en cette hâblerie. En tous cas, Roger passa certainement la plus grande partie de sa vie à Auxerre ; où il fut successivement secrétaire de Mgr Jean Baillet, évêque en 1494, et de Mgr François Ier de Dinteville, qui mourut en 1531. Son successeur, François II de Dinteville, qui occupe un rang distingué parmi les diplomates du temps de François Ier, trouva Collerye trop vieux d’âge et de littérature et le renvoya. Cette place de secrétaire était, pour le poète, une place littéraire plutôt qu’ecclésiastique ; pourtant, à une époque de sa vie qu’on ne peut préciser, il entra dans les ordres. Sa vie passée s’accordait mal avec la sainteté de son caractère ; il l’expia bien alors, et ne put jamais obtenir ni place ni faveur. Pardonnons-lui la légèreté de quelques-unes de ses pièces ; il y a là, comme dans tout le moyen âge, plus de naïveté que de libertinage, et les angoisses de sa pauvreté, ainsi que le repentir de sa vieillesse, élèvent la voix plus haut que ses amours.

Il passa ses premières années à dépenser toutes les joies de son existence. Roger de Collerye s’en allait, non plus comme les vieux jongleurs, par les champs, les fêtes et les châteaux, mais il marchait gaiement dans sa jeunesse, vêtu de léger, avec le rire à toutes dents. Il distribuait sa vie à ces trois enfans de la reine Mab, le gentil Loisir, père de Poésie, l’Amour qu’on chante plus doux que l’Amour qu’on aime, et l’Amitié, qui trinque à la gloire future. Parfois çà et là on entrevoit le mot de l’avenir, le signe du bohême et le point noir qui s’agrandira plus tard : la fuite momentanée des angelots d’or. On aperçoit à l’horizon Faute-d’Argent et Plate-Bourse, les deux terribles ennemis de Roger Bontemps, les deux personnifications redoutées de la misère qui l’attend : ils viennent inspecter le haut-de-chausses du bohême et sa bougette ; mais il est trop bien entouré d’amis, d’amour et de jeunesse ; ils attendront, pour le torturer, que soient tombées les feuilles mortes de l’espérance. Ce temps est loin encore, Roger Bontemps est dans sa fleur, c’est le roi des bons compagnons, le prince de toute joyeuseté. Tout ce qui rit, tout ce qui boit, tout ce qui chante va vers lui ; tout esprit jovial, toute maison en fête sont ouverts à ce poète sans soucis. Il s’en va par exemple à Gurgy, paroisse voisine du château de Régennes ; ce sont ses plus heureux jours. Il trouve là son grand ami et joyeux compère, Mgr de Gurgy, celui qu’on appelait Bacchus dans les bonnes compagnies, au milieu des repues franches. Il s’abandonne alors à sa paresse bien-aimée, et, au milieu des pots et des gracieuses aventures, il est trop bon