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cette école, nous l’avons dit, qu’il faut chercher les écrivains honorés, riches et heureux ; mais c’est elle qui renferme les poètes originaux et indique des instincts littéraires d’un ordre supérieur.

À la tête de cette école, nous trouvons Villon, et il y est arrivé, non pas tant par la nature de son talent que par sa vie. C’est une triste chose sans doute qu’il faille souffrance, misère et solitude de cœur pour fouetter l’originalité d’une nature poétique, et le bonheur qui perfectionne le talent semble appesantir le génie. C’est logique du reste, et Dieu ne pouvait pas accorder au génie, qui est une concentration une transfiguration de l’individualité, les joies réciproques de la famille et de la société, ces joies distribuées aux médiocres qui se laissent envahir et dominer, qui se divisent et se donnent. Villon a subi cette nécessité logique ; il a exalté son génie aux dépens du bonheur et de la morale :

He Dieu ! se j’eusse estudié
Au temps de ma jeunesse folle
Et à bonnes meurs dédié,
J’eusse maison et couche molle.


Oui, mais dans cette couche molle il eût laissé dormir cette âpreté de sarcasme, cette fécondité originale, cette vivacité de stylé, cette hardiesse de pensée, toutes ces qualités d’un génie indocile qui ont développé ses instincts trouvères, il serait devenu, dans la culture laborieuse des syllogismes universitaires, quelque grave et pédant raisonneur, et son esprit, alourdi par la jouissance paisible du bien-être, eût arrondi des périodes banales, au lieu de s’élancer jusqu’à la hardiesse d’une imagination sans frein. — Peut-être n’a-t-on pas encore bien étudié la vraie nature du talent de Villon et a-t-on trop sacrifié son cœur à son esprit, sa tristesse à son côté joyeux ! Sa gaieté, sa vivacité, ses sarcasmes, sont des qualités vulgaires dans la littérature du moyen-âge, et bien des écrivains les représentent à un degré presque aussi élevé ; mais, ce qui est nouveau au XVe siècle, le sentiment presque inconnu c’est la mélancolie, la tristesse vraie, simple et naturelle, et cette sensibilité touchante, le côté sombre de son génie, en est certes le côté original. Toutefois, ce qui indique surtout sa puissance propre, c’est qu’il n’a jamais obéi à la rhétorique qui dominait la littérature depuis le Roman de la Rose, au goût de l’allégorie morale ; il a dépeint sa vie et son caractère sans appeler à son aide les formules reçues, qui sont, pour ainsi dire, le fard littéraire employé par les esprits médiocres, et la simplicité dans la vérité indique une puissance réelle, comme aussi le dédain tranquille et sans emphase de la rhétorique à la mode est le signe du génie. Du reste, Villon est bien un esprit du moyen-âge, il en porte le cachet moral, qui est l’amour et l’intelligence poétique de la sainte Vierge, comme il en présente le caractère extérieur, qui est l’amour de la réalité matérielle.

À côté de lui arrive Pierre Gringore, esprit d’une autre trempe et d’une nature supérieure peut-être, plus vaste et plus profond, plus varié, plus réfléchi surtout, mais moins limpide, moins personnel et moins énergique. Villon écrivait, comme il eût fait un bon tour de friponnerie, finement, dextrement et joyeusement. Parfois sans doute viennent des remords que lui apportent le