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à l’observation extérieure, les instincts réalistes, et la préoccupation du sentiment matériel qui avaient été le cachet de la littérature trouvère. La naïveté et la foi, qui s’éloignaient du monde politique, n’étaient point encore chassées de la vie intime ; les vieux respects, les images des saints vénérés par tant de générations successives, la douce et poétique figure de Notre-Dame, d’un bout à l’autre du foyer domestique, du lit nuptial au berceau, faisaient courber encore tous les fronts : c’étaient toujours les causeries légendaires, les souvenirs d’autrefois plutôt que les espérances, et les lambeaux de contes qui sortaient de la bouche de l’aïeul comme le fondement nécessaire de l’éducation domestique. Après tout la vieille littérature, protégée par l’expansion orale, était encore présente ; même quelque temps après la découverte de l’imprimerie ; elle était encore représentée dans son côté idéaliste et réaliste par les légendes et les fabliaux dont les lèvres maternelles berçaient la mémoire tenace de l’enfant ; son art simple et sa naïveté tenaient la bourgeoisie par les mystères ; les farces et les sotties qui réjouissaient les fêtes patronales et se reproduisaient par lambeaux dans les causeries des beaux esprits de la classe marchande. Les ménestrels vagabonds étaient peut-être devenus un peu moins ménestrels et un peu plus porto besace, mais ils couraient encore à toutes les fêtes de village, ils s’assoyaient encore aux environs de la table des petits barons de province, et les gestes de Charlemagne et de Roland, les lambeaux du Roman de la Rose les fabliaux et les chansons, tout défigurés qu’ils fussent par le patois des diverses provinces y entretenaient les traditions et l’amour de la littérature nationale. Il y avait donc place encore à cette époque pour une école trouvère ; cette école pouvait être comprime et renfermer de.grands écrivains : c’est cette école en effet qui lutte contre l’école savante, qui défend contre elle, contre la renaissance le génie national, et qui moins honorée, moins connue, pauvre en son temps, aujourd’hui ignorée, l’emporte pourtant en beauté et en vérité littéraire.

On voit facilement quels hommes et quels esprits devaient aller à elle : les poètes populaires, poètes de la petite bourgeoisie écrivains de province, secrétaires, des petits seigneurs, — les esprits lestes, vifs et hardis, tous ceux, comme dit Gringoire, qui n’ont degré en quelque faculté, tous ceux enfin qui, par position, éducation nature de talent ou hasard, se sont trouvés en relation fréquente avec la vieille littérature. Elle attire dans son sein les caractères aventureux à qui l’amour de l’indépendance ; une imagination pleine de folles promesses, et des désirs un dociles aux tranquilles conseils du foyer domestique n’ont pas permis de suivre les voies régulières de la société. C’est en effet le côté philosophiquement original de cette école de faire soutenir les choses du passé et de prendre pour défenseurs de ces instincts conservateurs les esprits aventureux. Ordinairement ce sont les natures indociles, les individualités déclassées et où l’imagination l’emporte sur le jugement, qui soutiennent l’idée nouvelle : ici ; l’école trouvère, hardie et originale, défend le passé ; l’école savante, grave et paisible, marche révolutionnairement vers l’avenir. Cette anomalie s’explique pourtant, car ici c’est l’avenir qui contient l’ordre et la régularité littéraires, tandis que la vieille littérature, née dans un temps d’aventures, aventureuse elle-même, ne pouvait attirer à ses doctrines que les natures éprises d’indépendance et de fantaisie. Ce n’est donc pas dans