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des courses, des fuites, des frayeurs et des pilleries auxquelles le populaire était exposé. Nous voulons bien ne pas rattacher cet amour de l’obésité à l’influence que la bourgeoisie et ses idées commençaient à exercer sur les mœurs civiles et politiques, mais il existe à un haut degré et il est curieusement exprimé et prouvé par la forme des vêtemens et la mode qui régnaient alors : hommes et femmes portaient une espèce de cordelière qui descendait jusqu’au bas du ventre et dessinait, en l’exagérant, toute l’ampleur, de cette partie de l’individu. L’école savante apporte et représente dans la littérature cet amour de l’obésité, elle trouvait les poètes trouvères, trop maigres, leur style était bon pour le populaire, dont il représentait fort bien la pauvreté décharnée ; mais il était inadmissible à la cour et dans les réunions des gens éloquens. Comment avait-on pu écrire pendant tant de siècles seulement pour être compris et sans être bouffi d’harmonie compendieuse ? Elle ne le concevait pas ; aussi engraissait-elle, doctement son propre style ; elle le chargeait de bourrelets métaphoriques, le nourrissait de redites somptueuses et elle croyait avoir atteint l’idéal de la poésie quand elle parvenait à empêcher ses pensées de tomber trop vite dans l’oreille de l’auditeur.

L’école savante est parfaitement, représentée, du reste, par l’écolier limousin de Rabelais, qui n’est certainement qu’une fort légère exagératipn de ces éscorcheurs de latin. Si l’on en doutait, qu’on ouvre la Départie d’amour, de Blaise, d’Auriol dont voici les premières lignes : « Enclos dans mon secret répagule, sur celluy point que opacosité noctiale a terminé ses umbrages, et Diane luciférante commence ses rays illuminatifs par le climat universel espandre, Aurora ses amyables, refreschements dulcifiques et melliflues attribuer, et Phebus les tenebrosités ventarisantes et pulvérisantes de Boreas presunder et amortir, etc. etc. » André de La Vigue commence son Vergier d’honneur de cette même élégante manière : il se trouvait offusqué par soif formitive qui lors coagulait le palat de sa lingonicque résonnance, et il eut un rêve d’où naquit le Vergier d’honneur. Je sais bien que ces, auteurs ne sont pas de premier ordre, mais ils indiquent très bien les tendances de leur école, et ils exagèrent à peine le style de cérémonie des maîtres Crestin et Molinet. « Or ne faut pas que tu ignores, écrit Crestin à Molinet, combien on te cherche sur tous autres, en solertie attrayant, pour le souef arrousement de tes porées, et doulces influences de tes orbes donnant sérénité aux tempêtes, union aux divisions, et repos aux turbes esmues. Et semble que Tulle par éloquence, Orose par historiographe, et Octavien par melliflue rhétorique, n’aient été dignes d’arrouser leurs plumes en tes ruisseaux pégasés, etc. » A quoi Molinet répond : « Crestin sacré et bénédictionné de céleste main, aorné de précieuses gemmes, tu n’as cause de doléances, etc. »

Je n’ai,pas ; intention de m’étendre sur les mirifiques encensements que se prodiguent réciproquement ces gracieux poètes ; mais si telle est leur correspondance, leur petit style, on peut prévoir quel doit être leur langage de cour. Que serait-ce s’il me fallait citer les fleuretons à double unissonnance au milieu par équivoques redoublées, les mottets, ronds chapelets, ramelets, entrelas, les rimes planières,.battelées, entrelacées, couronnées, tout cela embrouillé d’unissonnances, d’équivoques doubles, simples, mâles, composées, mêlées, etc. ? Du reste, les malicieux successeurs de ces écrivains empêtrés