Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nobles exemples, l’esprit national est resté le même ; il se débat contre ses oppresseurs, il gémit du joug qui lui est imposé et reste fidèle à son passé.

Élégante et distinguée, la société persane aime toujours les arts et les lettres. Son industrie languissante se meurt d’inanition, mais les conditions de vitalité subsistent pour elle. On voit encore à Kachân, à Yezd, à Kermân, à Meched, à Chiraz et autres lieux, des fabriques dans lesquelles se conservent les procédés nationaux ; on y fait encore des étoffes de soie, des cachemires, des armes. À Téhéran, à Ispahan, les peintres, les orfèvres, savent toujours les secrets de leur art, qu’ils pratiquent avec amour. Tout ce qui tient à l’intelligence, à l’esprit, au goût, résiste et vivra long-temps ; mais ce qu’on ne voit plus se produire, ce qui ne se fait plus dans le temps présent, c’est ce que l’or seul peut payer. Ainsi on n’élève plus de mosquée comme celles de Châh-Abbas et de Châh-Husseïn ; les princes n’ont plus les moyens de bâtir des palais comme ceux du Tchar-Bâgh d’Ispahan. La Perse est pauvre, humiliée ; tout y dépérit ; comme les arts, les monumens tombent pierre à pierre, sans qu’on les restaure, sans qu’il s’en élève de nouveaux pour les remplacer. La civilisation de l’Irân a fait sa renommée, et celle-ci lui a créé des envieux, devenus des rivaux, qui, après l’avoir imitée, lui font payer bien cher la gloire de les avoir formés. De déchéance en déchéance, la Perse en est venue à végéter dans l’apathie ; elle ne peut plus se suffire à elle-même et a besoin des autres.

C’est la tâche du gouvernement actuel de l’Irân de se servir des nobles instincts encore persistans parmi la nation pour lutter contre cette apathie, et pour ramener le pays à une situation meilleure par une intelligente exploitation de ses ressources matérielles et morales. Pour nous, c’est au point de vue de l’intérêt français que nous avons surtout à envisager la situation de la Perse. Les Anglais sont presque les seuls qui fournissent aux populations persanes tout ce dont elles ont besoin. En attendant que la Perse en vienne à se passer des secours de l’industrie étrangère, il serait à propos sans doute pour la France d’avoir aussi accès dans ce pays ; elle y trouverait un débouché facile à une grande partie de ses productions ; ses toiles peintes, ses draps, ses mousselines, ses étoffes de laine ou de soie, ses porcelaines, ses verreries ou ses glaces, son orfèvrerie, son horlogerie, y auraient un grand débit, y trouveraient sûrement des acheteurs empressés. Cependant la France n’a pas un seul comptoir en Perse. Dans tout le cours de notre séjour ou de nos voyages dans ce pays, nous n’avons pas rencontré un seul négociant français. La France est routinière elle va aujourd’hui où elle allait hier ; elle ne cherche pas de débouchés nouveaux ; elle recule devant l’inconnu, les difficultés l’effraient. Et pourtant qu’est-ce donc que le voyage de Perse ? Une vingtaine de