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Cependant les dames que mon apparition avait troublées au milieu de leurs plaisirs et de leurs danses se remirent de leur première frayeur, et commencèrent à laisser échapper quelques plis des voiles sous lesquels elles s’étaient empressées de dérober leurs visages, que j’avais à peine entrevus. Ces voiles s’abaissèrent de plus en plus, et finirent par tomber tout-à-fait. Effarouchées d’abord, les maîtresses du logis reprirent de l’assurance et s’apprivoisèrent peu à peu. Elles ne tardèrent pas à attacher sur moi des regards où se peignait une curiosité qui ne le cédait en rien à la mienne. Elles retrouvèrent bientôt leurs attitudes naturelles que la surprise avait dérangées, et, s’accoutumant presque à ma présence, elles revinrent à ces poses nonchalantes dans lesquelles s’écoule la vie de harem. Celles qui avaient jeté leurs instrumens sur le tapis se décidèrent à les reprendre. Quelques sons rendus par hasard attirèrent peu à peu leurs doigts sur les cordes, et bientôt un air de danse ranima ces femmes, pour qui l’interruption du plaisir était temps perdu.

Au milieu de ces houris du paradis terrestre qu’avait créé pour son usage le prince Malek-Khassem-Mirza, nous nous assîmes à une petite table, où un souper élégamment préparé nous réunit à un autre châhzâdèh, Mossem-Mirza, cousin de notre hôte, et au docteur frengui. Pendant le repas, qui fut servi avec une recherche et une galanterie tout-à-fait en harmonie avec notre entourage, les danses ne discontinuèrent pas. Ordinairement une femme seule dansait ; de temps à autre, une seconde venait se joindre à la première, mais elles n’étaient jamais plus de deux. Elles avaient dans leurs doigts de petites cymbales, dont elles se servaient comme de castagnettes, avec lesquelles elles marquaient la mesure et accompagnaient les instrumens, qui jouaient un air de danse. Ces instrumens étaient une sorte de viole sphérique, munie d’un manche très long, avec trois cordes seulement, et reposant debout sur un pied. On en joue avec un archet en soie. Cette viole est faite avec des os de poisson. Celle qui figurait dans l’orchestre du prince était entre les mains du seul homme qui fût avec nous, et qui devait cette exception en sa faveur à ce qu’il était aveugle. À côté de lui, une femme grattait avec une pointe d’écaille les cordes métalliques d’une mandoline ; une autre battait des deux mains sur un petit tambour qu’elle avait passé sous son bras gauche, tandis qu’une troisième l’accompagnait en frappant de sa main droite sur un tambourin fait exactement comme nos tambours de basque.

Ces danses se succédèrent à des intervalles très rapprochés, et ces femmes, qui avaient d’abord paru ne danser que par complaisance pour le maître, finirent par y prendre un si grand plaisir et s’y animer tellement que la vivacité et l’étrangeté de leurs mouvemens les faisaient paraître folles. Dans certains momens d’excitation, le jeu