Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un des miens le porter des paroles d’amitié, et tu me réponds par la trahison. Ma main a frappé pour ma protection, mais les tiens sont plus nombreux.

— Fils de chien, tu oses parler! reprit le chérif, et, se dressant sur ses étriers : Vous autres, écoutez, que mon commandement s’accomplisse! Je viens d’en haut, et je porte la volonté du Puissant. Prenez cet homme; que le fer rougi au feu entre dans sa chair; que ses yeux cessent de voir et restent suspendus à sa joue par un lien de chair; que de chacun de ses membres brisés un à un il sorte une douleur nouvelle!

« Bel-Cassem fut saisi, je te le dis, je l’ai vu, — le feu allumé, le fer placé dans la flamme, et la chair cria sous le fer rougi; puis le chaous s’approcha, entra le doigt dans son œil, et, le tirant à lui, le laissa accroché par un lien de chair. Il fut fait pour le second œil comme il avait été fait pour le premier. On prit ensuite un yatagan, et à l’aide du revers chaque membre fut brisé un à un. Le chaous regardait le chérif, attendant son ordre. Ayant rassasié son œil à cette vue, le Bou-Maza dit : — Vous autres, vous avez été les témoins de la justice; allez, que tous le sachent : ainsi seront punis les serviteurs du chrétien. — La douleur en ce monde, la mort pour aller souffrir en l’autre, les attendent. — Et, armant son pistolet, il brisa la tête de Bel-Cassem d’un seul coup. — En vérité, cet homme est un maître du bras, et le commandement par le par sa bouche.

« Je croyais ma dernière heure venue, et j’étais dans l’attente du plaisir de Dieu, quand un de ceux du chérif me reconnut. — Un jour qu’il était poursuivi, je lui avais donné asile. A cette heure, j’eus la récompense du bien : il me laissa fuir. Alors j’ai couru vers les vôtres d’Orléansville, et j’ai tout raconté. Ils m’ont donné des lettres pour les soldats de Mostaganem, et s’étaient déjà mis en route afin de suivre la vengeance. Sur mon chemin, j’ai appris que la poudre avait parlé, et depuis je n’ai rien su. »

— Il a fait cela? reprit Mustapha avec le ton d’un homme qui ne peut s’empêcher de ressentir une certaine admiration, et, après avoir réfléchi, il ajouta : Quelles sont les paroles des gens sur le Bou-Maza?

— Son nom est dans la bouche de tous, il remue les cœurs et agite les esprits. Quelques-uns m’ont dit qu’il venait de l’ouest, d’autres des Cheurfas des Flittas[1]. Dans la vérité, nul ne le sait, et si le sang de Bel-Cassem ne s’était point mis entre lui et moi, j’aurais été son serviteur, car la terre ne peut produire un homme du ciel, et, envoyé de Dieu, il arrive du ciel.

Mustapha-ben-Dif, qu’un long séjour dans nos rangs avait déjà

  1. On nomme ainsi une traction de la tribu des Flittas qui prétend descendre de la sœur du prophète.