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surtout des arts du dessin. Cette inclination contraste singulièrement avec l’horreur qu’ont les Turcs et la plupart des Orientaux pour les productions du pinceau et les représentations de la figure humaine. Le prince Malek-Khassem-Mirza était un grand amateur de peinture, et ce goût, très prononcé chez lui, me valut de sa part une bienveillance toute particulière. Il m’offrit pour lieu d’études son divan-i-khânèh, où, il donnait ses audiences quotidiennes, et il m’y facilita la copie de plusieurs costumes que j’aurais eu autrement beaucoup de peine à faire. Les premiers l’amusèrent, puis il y prit un tel intérêt ; que, quand je n’étais pas arrivé à l’heure habituelle où je me rendais au sérail, il m’envoyait chercher. Cet empressement, qui avait dégénéré presque en exigence de sa part, me servit extrêmement, parce qu’il me donna le moyen de faire une ample collection de costumes variés des diverses provinces de la Perse. Peu à peu il s’établit entre le prince et moi une intimité qui me le fit connaître davantage loin de rien diminuer de l’opinion que nous avions conçue de lui, elle me révéla dans ce châhzâdèh des qualités que je n’espérais guère rencontrer chez un musulman. Ainsi il professait un grand respect pour la liberté de conscience en matière de religion ; sa tolérance à cet égard était sans bornes. Il parlait avec une absence de préjugés bien remarquable de tout ce qui touchait aux femmes ou aux rapports entre chrétiens musulmans. Il eût été élevé en Europe, en France, le pays de liberté par excellence, qu’il n’eût pas été plus large dans ses idées, plus indépendant dans la manière de les exprimer. Mon intimité avec le châhzâdèh et la connaissance que j’avais acquise de son caractère me permettaient d’apporter dans mes causeries avec lui un laisser-aller, qu’il comprenait très bien, un abandon auquel, il répondait parfaitement.

Enhardi par la franchise de plus en plus cordiale qui régnait dans nos relations, j’osai un jour demander au prince de me faire dessiner une femme en costume de harem. Or, il faut savoir que je n’avais encore pu en apercevoir une seule. Les Persanes sortent peu, et dans les rues elles sont tellement bien cachées et enfermées dans un grand voile qui les couvre de la tête aux pieds, qu’il est impossible de rien distinguer. Leur tournure même se dérobe dans les longs plis de l’espèce de manteau qui les enveloppe et qu’on appelle tchader. De plus, elles agrafent de chaque côté de la tête une petite pièce d’étoffe blanche au milieu de laquelle est une broderie à petits jours, placée sur les yeux. Cette espèce de grillage leur permet de se guider sans laisser aucun, regard curieux se glisser au travers. Le bas de leurs jambes est enfermé dans de larges pantalons à pieds. Elles sont chaussées de petites babouches jaunes ou vertes, à pointe retournée, et dont le talon fort pointu ne vient guère qu’au milieu de la plante du pied. Quelquefois, quand