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de celui à qui l’on fait visite, importance qui grandit naturellement avec celle du personnage visité, il faut savoir que l’affranchissement de cette coutume fut l’objet d’une clause particulière insérée dans les derniers traités conclus entre la Russie et la Perse. Il ne fallut pas moins que les victoires de la première et la crainte que ses armes inspiraient à la seconde, pour que le châh consentît à dispenser désormais les Russes de se soumettre à une forme d’étiquette incompatible avec le costume européen. Cependant, afin, de ne pas blesser les idées reçues et de ne pas offenser le roi, il fut convenu de part et d’autre que les Russes couvriraient leurs bottes de pantoufles pour venir jusqu’au seuil du palais, de manière que les semelles ne fussent point souillées de boue pendant le trajet. Naturellement, l’ambassadeur de France devait revendiquer comme un bénéfice légitime pour tout Européen l’application de la clause introduite par le plénipotentiaire russe. Il crut devoir appuyer sa demande d’un argument qui était sans réplique et qui leva les derniers scrupules du prince ; il lit dire au châhzâdèh : « Le roi de France a reçu l’envoyé du châh, Hussein-Khân, et sa suite avec le bonnet sur la tête, contrairement aux usages européens ; le prince peut donc, à son tour, recevoir l’ambassadeur français et ses attachés avec leurs bottes. » C’était péremptoire, et cela fit effet. Il fut convenu que, nous entrerions dans la salle d’audience du châhzâdèh avec nos bottes garanties du contact du sol par une chaussure superposée.

L’étiquette persane, se réservait encore de nous soumettre à une autre exigence non moins désagréable. Il est de tradition que le prince auquel va rendre hommage un ambassadeur envoie les chevaux de ses écuries tout harnachés pour ce personnage et sa suite. Il fallut donc subir le supplice de monter les chevaux de Karamân-Mirza, sellés à l’orientale, et sur lesquels nous étions fort mal à L’aise. Ce fut ainsi que, précédés chacun d’un saïs ou palefrenier, nous nous rendîmes au sérail. Un bataillon d’infanterie d’assez bonne mine nous attentait rangé en bataille dans la cour. Il présenta les armes à notre arrivée, et, au moment où nous mîmes pied à terre, une musique quelque peu barbare entonna des airs nationaux.

Un maître de cérémonies en habit d’apparat et, tenant une canne, marque distinctive de ses fonctions, nous reçut au seuil du palais. Après nous avoir fait traverser un jardin, au bout duquel nous quittâmes nos pantoufles, il nous introduisit dans une salle dont les murs étaient entièrement revêtus de glaces, d’arabesques et de tableaux représentant des batailles livrées aux Turcs par le père du châhzârèh Abbas-Mirza. Entre autres sujets, on voyait la prise de Toprak-Khâlèh, en Arménie. À droite et à gauche de ces tableaux se trouvaient quatre portraits ; c’étaient ceux de, Tchenghiz-Khân, Châh-Ismaïl, Roustâm