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chez ces deux princes d’une sympathie marquée pour la civilisation européenne. À partir du règne de Mohammed-Châh, on peut dire que la société persane s’est divisée en deux fractions : celle qui admet, celle qui repousse l’influence des Frenguis et du Frenguistan. J’ai pu observer dans deux types bien distincts cette double tendance de la population persane. Les deux princes Karamân-Mirzâ et Malek-Khassem-Mirza personnifiaient nettement les opinions qui divisaient leurs compatriotes : d’une part, le culte obstiné de la tradition persane ; de l’autre, le goût sincère, mais un peu frivole, de la civilisation française. Faire connaître Karamân et Malek-Kassem, ce sera montrer de quel esprit est animée aujourd’hui la nation persane et les curieux contrastes qu’on peut rencontrer dans les rangs de sa noblesse, ce sera aussi indiquer, en regard des causes de décadence que le passé de la Perse nous a révélées, les germes de renouvellement que ce pays conserve encore.


II. – LES PRINCES KARAMAN-MIRZA ET MALEK-KHASSEN.

Pendant notre séjour à Tabris, capitale de l’Azerbaïdjah, nous dûmes faire en corps notre visite officielle au prince Karamân-Mirza, beglier-bey de cette province ; mais la neige tombait sans discontinuer, et c’eût été contrarier l’un des préjugés les plus délicats aux yeux des Persans que d’arriver mouillés chez le beglier-bey. — En effet, dans l’opinion d’un musulman, la demeure d’un Persan est souillée, si elle porte les traces de l’humidité qui aurait découlé des habits d’un chrétien. — Notre meïmândar, trop poli pour faire valoir cette raison, nous dit simplement qu’il serait convenable d’attendre que le temps fût plus beau pour nous rendre au sérail, et de fait, pour nous comme pour le châhzâdèh, il était désirable d’ajourner l’entrevue. — On renvoya donc au jour suivant cette cérémonie, qui, depuis qu’il en était question, donnait lieu à des discussions puériles selon nous, mais d’une très grande importance pour les Persans. En Perse, il est d’usage d’entrer sans chaussures chez les grands et de rester debout devant eux. Il s’agissait donc de décider si nous entrerions avec nos bottes chez le châhzâdèh et si nous pourrions nous asseoir pendant la réception. Cette grave affaire causa beaucoup d’embarras au personnage qui fut chargé de la traiter avec notre ambassadeur et le prince lui-même. La seconde des deux questions soulevées, qui pour un Européen pourrait paraître la plus importante, n’était cependant pas celle sur laquelle Karamân-Mirza insistait le plus : il céda assez facilement sur ce point, plus facilement même que nous ne nous y attendions. Un siège fut préparé pour chacun de nous. Seulement sur le premier point, le prince paraissait intraitable. Pour apprécier toute l’importance que les Persans attachent à l’usage établi chez eux de laisser les chaussures à la porte