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était conquise, et l’aigle russe, dans son vol rapide, menaçait de s’abattre sur le palais de Téhéran ; il fallait subvenir aux frais de la guerre, qui coûtait fort cher, ce que coûte toujours une guerre longue et malheureuse. Avec les provinces les plus belles de la monarchie persane s’en allèrent les richesses du roi. De fréquentes levées d’hommes, un matériel, de guerre chèrement acheté ou plus chèrement encore confectionné par des mains inhabiles, des subsides dispendieux accordés à des étrangers : comme instructeurs et conseillers du chef de l’armée, des dilapidations de tout genre exercées dans tous les rangs de la hiérarchie militaire et civile ; enfin les dépenses, les prodigalités de soixante-dix princes qui ne connaissaient d’autre manière d’honorer leur origine royale que de jeter l’or à ceux qui satisfaisaient à tous les caprices d’aune vie voluptueuse, toutes ces causes réunies finirent par tarir le ressources du trésor persan. La nation s’aperçut de la gêne de ses princes à l’augmentation des impôts, aux exactions de tout genre qu’elle eut à subir, sans que ces moyens arbitraires de battre monnaie fussent suffisans. Le faste de la cour de Téhéran déclina ; les populations s’appauvrirent en même temps, et bientôt le roi pauvre ne régna plus que sur une nation de mendians. Après avoir gouverné pendant plus de trente ans, Fet-Ali-Châh mourut en désignant pour son successeur, son petit-fils Mohammed-Châh, fils d’Abbas-Mirza, du prince qui avait lutté courageusement contre les Russes, et dont les Persans vantent encore avec raison les vertus militaires et le patriotisme.

Mohamed-Châh avait reçu une éducation aussi européenne que le permettaient les mœurs et la religion des Persans. Dans sa jeunesse, ce prince avait été à la cour même de son père, en contact fréquent avec les Européens dont Fet-Ali aimait à s’entourer pour s’aider de leurs lumières et de leur appui dans la guerre de Georgie. À peu près dans le même temps, le hasard avait amené en Perse une jeune dame française ; accompagnant son mari, qui, venait, comme beaucoup d’autres, après les événemens de 1814, chercher fortune en Asie. Celui-ci mourut après un court séjour, laissant sa femme sans ressources, était encore jeune et assez belle ; Fet-Ali-Châh lui fit ouvrir les portes de son harem. La médisance prétendit qu’elle obtint du monarque la faveur d’un regard auquel elle ne resta pas insensible. Toujours est-il qu’elle vécut dans le sérail jusqu’à la mort de ce prince, et qu’elle y fut institutrice de quelques-uns des jeunes châhzâdèhs qui s’y trouvaient. Mohammed-Mirza fut un de ses disciples, et nous pûmes juger, en approchant de ce prince devenu châh, que, s’il n’avait pas beaucoup profité de l’instruction qui lui avait été donnée par une française, il lui en était du moins resté de l’estime pour l’Europe, un penchant, pour ses arts, et en général pour la civilisation du Frenguistan.