Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1077

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de labeurs et d’intelligence pour le tenir en état dans une capitale d’un ou deux millions d’ames. Le monde vit de choses vulgaires, et, pour juger de l’influence qu’exercent sur notre existence ces humbles cubes de grès, supposez Paris dépavé : en huit jours, la vie et le mouvement s’éteignent ; les immondices s’accumulent et fermentent au sein de la population ; la ville n’est plus qu’un cloaque infect ; elle apprend, sous l’aiguillon des privations et des épidémies, à honorer le mérite méconnu, et bientôt un paveur y devient un personnage infiniment considérable. Ne médisons donc point du pavé, surtout à propos d’une navigation qui peut lui devoir un brillant avenir[1].

L’entretien de la voie publique exige dans l’intérieur de Paris un million cinq cent mille pavés, et coûte 1,800,000 francs, dont moitié pour la fourniture du grès. Chacun de nous use donc, plus d’un lecteur de la Revue des Deux Mondes l’ignorait peut-être, un pavé et demi par an. Les besoins doivent être les mêmes à Rouen et au Havre, villes marchandes où la circulation est fort active, mais moins bien desservie, et, dans les cas où le Parisien se contente d’un pavé et demi, aucun provincial n’a l’indiscrétion de prétendre à plus d’un pavé. Comptons donc cent mille pavés pour Rouen et trente-deux mille pour le Havre. Les villes intermédiaires servent à l’écoulement des pavés de rebut.

On sait que le pavé des villes de Paris, de Rouen et du Havre est fourni par les carrières de grès siliceux fort nombreuses dans les deux couches de sables supérieurs et de sables moyens du terrain géologique de Paris. Les principales exploitations sont situées sur les bords de l’Yvette, de la Marne, de l’Oise et dans la forêt de Fontainebleau. Aucun concours n’a jamais été, que je sache, ouvert entre le pavé de la vallée de la Seine et celui d’Erquy ; mais le premier appartient à une formation moins ancienne, sa pesanteur spécifique n’est que les quatre cinquièmes de celle du second, et à juger du service de chacun par sa dureté et par les effets destructifs d’un frottement réciproque, le pavé d’Erquy doit durer plus de deux fois autant que l’autre. On pourrait donc trouver son compte à le payer plus cher. L’excédant de durée se traduit en effet en économie de main-d’œuvre ; un bon pavé donne beaucoup moins de boue qu’un mauvais, et les frais de nettoiement se réduisent d’autant. Les économies qui s’expriment en chiffres sont insignifiantes auprès des avantages que procure au public la bonté du pavé : le parcours de la rue dégagée de boue, moins obstruée par les réparations, devient plus facile, plus rapide ; c’est pour les hommes et les animaux l’épargne du temps et de la fatigue. C’est quelque chose que la commodité et l’agrément de la circulation, que le bon

  1. Dans les détails qui suivent, j’ai profité des instructives recherches de M. Darcy, inspecteur divisionnaire des ponts-et-chaussées, sur le pavage et le macadamisage des chaussées de Londres et de Paris. (Paris, in-8o, 1850.)