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Certes, si cela est vrai d’un pays où l’église dispose encore de tant de riches bénéfices, et où, moins exigeante pour la foi et la pratique et moins séparée de l’existence civile, elle n’est qu’une profession grave ouverte naturellement aux vies paisibles et studieuses, combien la même sollicitude n’est-elle pas plus applicable ailleurs, avec le regret seulement que celle chance de protection et cette forme d’encouragement soient si bornées, et si rares !

Quoi qu’il en soit, des projets de Swift il ne resta que sa lettre au comte d’Oxford, et le zélé promoteur de ces mêmes projets, Bolingbroke, après un long exil, revenu sans pouvoir dans sa patrie, exclu de la chambre des lords, déclaré, par privilège, inéligible à la chambre des communes, mais jouissant de cette liberté publique de la presse acquise dès-lors à l’Angleterre, ne songea plus à la littérature que pour en faire, dans le Craftman, un instrument inviolable d’attaque et de défense contre la durée ministérielle de Walpole. Satisfaite et justement glorieuse de sa Société royale de Londres, dès-lors immortalisée par Newton et trop exclusivement célébrée par Voltaire, qui oubliait les admirables travaux de notre Académie des sciences, l’Angleterre, forte d’ailleurs de ses deux savantes universités de Cambridge et d’Oxford, continua de se passer d’une académie de langue et de littérature anglaises, et n’en eut pas moins de bons écrivains au parler indigène et nerveux, d’éclatans orateurs au langage habile et populaire.

C’est que dans son instabilité sans frein apparent, dans sa liberté de commerçant et de voyageur, dans son droit d’importation universelle, de libre échange indéfini, l’idiome britannique est retenu par deux câbles, très forts, la Bible et le droit commun, la parole sainte et parole de la loi, cette seconde religion du pays.

Toujours présente dans la famille comme au temple, la vieille traduction anglaise de la Bible et la belle liturgie anglicane, de même couleur et de date plus ancienne encore, font incessamment reluire aux yeux et entretiennent dans le cœur ces vieux types saxons, ces formes rudes et simples colorées d’imagination hébraïque et trempées au même feu que la langue populaire du grand tragique anglais.

Puis, à l’ascendant religieux, si fort en ce point comme en d’autres, s’est joint, pour cette nation d’hommes libres et insulaires, courant le monde et revenant chez soi, ce goût des choses anciennes et locales, cette tradition active du sol, qui, se mêlant à tout pour eux, ne pouvait leur faire défaut dans leur idiome, et qui le conserve instinctivement comme une part du droit natal du pays et de sa vie municipale et libre.

Ainsi demeure le fond du langage national, le vieux chêne britannique, à la souche immortelle et au vaste feuillage, que surchargent,