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qu’il aidait à finir en paix son règne glorieux, le cabinet anglais se divise en la personne de ses deux chefs, la reine meurt, et un changement de règne avec nouvelle déviation dynastique fait décréter d’accusation les protecteurs de la future académie, met lord Oxford à la tour de Londres, sous prévention de crime d’état, fait fuir Bolingbroke en France ; sous condamnation par contumace, pour complicité avec son rival, et renvoie Swift, dans son presbytère d’Irlande, écrire en réminiscence des grandeurs de cour qu’il a vues le voyage et les observations ! De Gulliver à Lilliput.

De bons esprits cependant, au milieu de l’âpreté anti-jacobite qui avait saisi l’Angleterre et rendait odieux tout ce qui de près ou de loin tenait à la politesse du grand roi, regrettaient encore ce projet d’une académie littéraire analogue à celle de France. On n’y songea guère sans doute pendant le laborieux établissement du ministère de Walpole au milieu de ce travail de corruption habile gardant du moins les formes et amenant la réalité de la liberté sous un roi fort peu ami des arts, qui ne savait pas même l’anglais et conférait en mauvais latin avec son ministre sur les choses indispensables à la prérogative de l’un et au crédit de l’autre. Mais avec le progrès de la grandeur et de l’élégance sociales cette idée d’académie revint, et le célèbre lord Orrery, le même qui se montra si zélé et si intelligent protecteur des recherches scientifiques, écrivait pour rappeler l’ancien projet de Swift, si fâcheusement interrompu par une catastrophe politique : « Considérons ce qu’a fait une nation voisine, combien les Français ont été attentifs a perfectionner leur langue : Rome, par ses conquêtes, avait rendu son idiome universel ; la France, par sa politesse, a fait la même chose. J’entends sous ce mot politesse l’encouragement des arts et des sciences. Rien, n’a autant contribué à la pureté et à l’élégance de la langue française que les nobles académies instituées à cette fin. Tant qu’il n’y aura pas en Angleterre quelque création semblable, nous ne pouvons nous flatter de redresser les erreurs et de fixer les règles du style anglais. Je n’ose vous dire même à mi-voix que je crois un projet de cette sorte assez important pour mériter toute l’attention de nos pouvoirs législatifs[1]. »

Et lord Orrery, en liant à cet intérêt un peu chimérique peut-être d’une réforme et d’une surveillance grammaticales une pensée plus grave, dont tant d’infortunes particulières ont attesté le fréquent oubli, insistait sur la nécessité, sur la justice de ménager quelques appuis aux vocations littéraires, un but aux espérances et aux premiers essais du talent, un asile à sa vieillesse.

  1. Swift’s Works, t. VII, p. 240.