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d’une maladie trop générale, de les relever à l’Académie comme ailleurs, sauf à montrer aussi quelles barrières y opposaient encore ses exemples, et dans la prose de Voltaire, si naturelle, si sensée, si pleine d’esprit et de feu jusqu’à la dernière heure, et dans la lumineuse logique, l’élégante, clarté de Condillac, et dans la précision un peu sèche, mais simple et complète de d’Alembert, et dans la pureté judicieuse et animée de La Harpe, et dans l’art brillant de Rulhières et dans la grande prose de Buffon, le dernier survivant des hommes de génie de son siècle, et éloquent jusqu’à la fin de sa vie.

Conservant ainsi la glorieuse représentation de la pensée spéculative jusqu’au moment où la pensée active allait régner, gardant Buffon jusqu’à la veille de l’avènement de Mirabeau, l’Académie, malgré les distractions et les erreurs auxquelles n’échappe aucune puissance de fait et d’opinion, n’avait point failli à l’objet de son origine, et elle continuait de marquer un point élevé du génie national. Sa réputation était grande en Europe, et quand un historien étranger, Archibald Alison, avec la prudence traditionnelle de son libre pays, examine curieusement la composition de l’assemblée constituante de 1789[1], et cherche à se rendre compte du principe qui domina les élections dans les bailliages et des forces inexpérimentées qui furent déchaînées sans mesure, de manière à rompre tout équilibre des intelligences comme des rangs, et a laisser peu de place à l’aristocratie, même du bon sens et de l’expérience, une de ces objections anglicanes, vraiment remarquable et bien surannée pour nous, c’est qu’il n’était entré dans cette assemblée, sauf le savant et vertueux Bailly, aucun des hommes de l’ordre philosophique et littéraire représenté par l’Académie française et les autres compagnies savantes, tandis qu’il s’y trouvait dans le côté le plus démocratique cent soixante avocats de province et quatre-vingts curés de village.

Cette observation vient cependant du pays où, dans les premières années du XVIIIe siècle, d’élégans esprits avaient inutilement tenté de fonder une académie, avec le devoir exprès d’amender, perfectionner et fixer la langue anglaise. Chose remarquable même, c’était l’écrivain le plus fantasque et le plus libre de ce pays, celui qui, dans sa moquerie rabelaisienne, s’est raillé de tout, y compris les expériences et les programmes des compagnies scientifiques, c’était Swift enfin, l’auteur du voyage à Laputa et dans l’Ile-Volante, qui avait pris à cœur et qui réclamait instamment la création d’une académie littéraire sur le modèle de la nôtre.

L’objection à cette entreprise était dans l’indépendance naturelle à

  1. Alison’s History of Europe, vol. 1.