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temps avec éclat, admirée en France, inspiratrice au dehors, et se communiquant des philanthropes de Paris à ceux de Milan et de Naples, aux Beccaria, aux Verri, aux Filangieri. Quelques exemples, cherchés au loin dans les siècles et tout voisins par la ressemblance de forme, pourront donner à cette partie de notre histoire littéraire un intérêt instructif qui deviendrait en même temps une apologie, il est vrai, peu nécessaire.

On sait en effet que les académies les plus éclairées ne peuvent prévaloir toujours contre certaines erreurs du goût public et certaines lois du temps. Ce n’était pas l’Académie qui créait l’élocution fastueuse et trop ornée, que cependant elle devait parfois accueillir pour le talent et l’intention morale qui s’y mêlait. Cette éloquence, fort semblable à celle dont Sénèque le père a donné de nombreux échantillons, et que Sénèque le philosophe lui-même n’a que trop employée, cette éloquence mêlée d’esprit et d’emphase naissait du luxe des mœurs et de la liberté demi-contrainte, de la hardiesse indécise des intelligences. Elle tenait, dans l’ordre moral, à cette émulation ambitieuse, à ce : besoin d’enchérir qui suit une époque abondante en chefs-d’œuvre naturels, disposition qu’a parfaitement décrite un historien de Rome éloquent lui-même à la manière et dans le goût raffiné dont il explique si bien les causes[1]. Elle tenait, dans l’ordre social, à ce que ce même écrivain n’avait pas osé dire, à cette exagération de formes, à cette prétention dogmatique, et tour à tour à cette obscurité que doit prendre la parole spéculative, quand elle est dans un pays la seule force quelque peu privilégiée, la seule remontrance, possible, tantôt soufferte et tantôt menacée par le pouvoir absolu.

Ainsi, la part de déclamation que ne prévenait pas toujours l’Académie, et qui n’était écartée ni de ses concours ni quelquefois de ses écrits, elle était partout ailleurs dans le même siècle, hormis quelques rares exceptions, Elle s’alliait à l’éclat du plus grand talent oratoire d’alors, du plus indépendant, du plus ennemi des corps académiques, et, malgré l’originalité du génie et de l’humeur, elle marquait souvent de sa monotone empreinte le, langage même de Rousseau.

Il ne nous en coûtera donc pas, en suivant à cette époque les traces

  1. « Alit aemulatio ingénia ; et nunc invidia, nunc admiratio imitationem accendit : naturâque quod summo studio petitum est ascendit in summum : difdicilisque in perfecto mora est : naturaliterque quod procedere nequit ; recedit : et ut primo ad consequendos quos priores ducimus, acceiidimur, ita, ubi aut praeteriri aut aequari eos posse desperavimus, studium cum spe senescit, et quod assequi non potest sequi desinit ; et velut occupatam relinquens materiem quœrit novam : praeteritoque eo in quo eminere non possumus, aliquid in quo nitamur conquirimus : sequiturque ut frequens ac mobilis transitus maximum perfecti operis impedimentum sit. » Vell. Paterc, lib. I, ch. XVII.